Progression spectaculaire dans la représentation des scènes d’affrontement de Persée (1682), tragédie lyrique de Quinault et Lully
Université de Sherbrooke, Canada
Introduction
Comme l’ont montré de nombreux ouvrages et articles avant nous, pour créer un opéra répondant aux exigences françaises, le librettiste Philippe Quinault et le compositeur Jean-Baptiste Lully ont emprunté aux opéras italiens leur structure dramatique mise en musique et chantée, aux pastorales leurs intrigues galantes et leurs thèmes merveilleux, aux tragédies à machines leur attirail technique et leur conception des décors et enfin, aux comédies-ballets leurs divertissements et leurs chorégraphies. Ils ont ainsi obtenu une forme d’art hybride et spectaculaire apte à servir le pouvoir royal. Afin de réellement pouvoir qualifier ces pièces de « tragiques », Quinault et Lully ont dû augmenter le degré de la menace (Kintzler, 2006 [1991], p. 182-186) dans leurs tragédies en musique. Ainsi, ils ont remplacé les intrigues politiques et les grands intérêts d’État qui étaient trop complexes à transmettre aux spectateurs par le biais de la musique et du chant. Ils ont choisi de placer leurs héros dans des périls extrêmes en représentant la violence, notamment dans des scènes d’affrontement esthétisées (Kintzler, 2006 [1991], p. 191-198). Ces scènes d’affrontement constituent en réalité des combats qui prennent diverses formes : tortures, meurtres, duels, enchantements, confrontations de monstres machines, guerres, etc. Dans la structure des pièces, elles ont tantôt la fonction d’élément déclencheur, tantôt de nœud et tantôt de dénouement. Elles permettent aussi le déploiement des nombreuses disciplines du spectacle : une orchestration particulière, une utilisation des chœurs, un jeu de machines, des entrées de ballets et bien plus. Cette pluridisciplinarité que l’on observe dans les scènes d’affrontement de la tragédie lyrique mérite toute notre attention, selon Françoise Escande :
L’étude d’un livret de tragédie lyrique ne saurait donc en définitive être isolée de celle de la musique. Le livret est conçu pour être mis en musique, de sorte que son étude exige une approche à la fois pluridisciplinaire (qui doit dans l’idéal bénéficier d’une collaboration de spécialistes des différentes composantes du spectacle dont […] le texte et la musique, mais [aussi] la danse et les décorations [qui] sont des éléments tout aussi essentiels à son économie) et transdisciplinaire dans la mesure où chaque spécialiste se doit de porter humblement son regard sur les autres composantes du spectacle (Escande, 2013, p. 199).
Point convergent des différents arts de la représentation (Guyon-Lecoq, 1998, par. 17 ; Escande, 2013, p. 89-191), ces scènes sont extrêmement travaillées et elles sont attendues par le public de l’époque.
Si plusieurs thématiques et scènes récurrentes de l’œuvre de Quinault et Lully ont déjà fait l’objet d’études étendues, que ce soit les scènes de songes par Jean-Philippe Grosperrin (2003) et Claudia Schweitzer (2017), les scènes infernales par Camille Guyon-Lecoq (1998), les exploits par Buford Norman (2019) ou les scènes de tempêtes par Sylvie Bouissou (1993), les scènes d’affrontement en soi ne semblent pas avoir été étudiées en profondeur. Pourtant, les combats sont eux aussi des moments clés des livrets, mais surtout des moteurs de l’action, qui ont une charge poétique des plus importantes puisque l’héroïsme qui en découle porte le caractère tragique du spectacle.
Dans la suite de cet article, nous nous intéressons aux différentes manières de représenter les scènes d’affrontement dans la tragédie lyrique Persée (1682) de Quinault et Lully. Le choix de ce livret n’est pas anodin. Il s’agit de la pièce du répertoire de Quinault et Lully qui comporte le plus d’affrontements et la plus grande variété, mais aussi de l’opéra dans lequel les deux créateurs s’efforcent le plus à lier l’intrigue et les divertissements de chacun des actes. Une telle structure permet donc d’étudier comment Quinault et Lully renouvellent sans cesse les scènes d’affrontement au fil de l’œuvre. Nous avançons que chacun des combats ponctuant la quête héroïque de Persée fait progresser l’intrigue des actes III à V et présente une gradation dans l’élaboration de ces scènes types que ce soit d’un point de vue de complexité de la mise en scène ou sur le plan de l’étendue des combats. Nous pensons aussi que Persée constitue un paroxysme de cette esthétique spectaculaire dans l’opéra français du XVIIe siècle, puisque peu de livrets de Quinault et Lully présentent une telle multiplicité de conflits armés comme fil conducteur dans leur intrigue en plus des divertissements que nécessite le genre et des changements de décor à vue. Nous nous penchons également sur l’adaptation moderne de ces trois affrontements à partir de la captation du spectacle d’Hervé Niquet monté en 2004. L’analyse comparative entre les scènes du livret et leur adaptation éclaire la compréhension des scènes d’affrontement en plus de montrer leur complexité technique. Nous présumons notamment que certaines parties des affrontements ont été coupées et que le registre comique s’est imposé dans l’acte III pour remplacer les effets horrifiques difficiles à rendre vraisemblables aujourd’hui.
Persée contre Méduse : une victoire aisée
Le premier affrontement de la quête du héros consiste à terrasser la gorgone Méduse à la scène 3 de l’acte III. Le combat, inspiré d’un épisode rapporté par le personnage de Persée dans Les Métamorphoses d’Ovide, est central dans le livret : il est la réponse au conflit initial et Quinault replace les différentes étapes du cheminement héroïque dans leur ordre chronologique. Dès les premières lignes de l’acte I, les Éthiopiens redoutent l’arrivée du monstre qui représente la vengeance divine, étant donné que la reine Cassiope a insulté la déesse Junon. La souveraine tente une réconciliation en organisant le divertissement final de l’acte, des Jeux en l’honneur de la déesse. La célébration n’a pas l’effet escompté : l’apparition d’Amphimédon, Corite et Proténor sur scène annonce, dans un récit, l’arrivée de la gorgone au royaume d’Éthiopie, témoignant du refus de Junon de pardonner la reine. Le premier acte se termine donc sur une scène de panique généralisée, puisque le peuple redoute le monstre. Pourtant, Méduse n’entre jamais en scène. L’évocation du seul nom de la gorgone permet d’augmenter le degré de la menace par la réaction horrifiée des personnages qui encadre la réaction du public, tout en motivant le recours au héros pour sauver le royaume. Par la même occasion, Quinault procède par gradation : l’annonce du monstre, sans pour autant le montrer, permet d’augmenter la tension dramatique en vue de l’acte III où il apparaîtra enfin. Le librettiste porte une attention particulière à la préparation du combat entre le héros et la gorgone : il s’agit d’une innovation par rapport à l’Andromède (1650) de Corneille, tragédie à machines sur le même sujet1.
L’arrivée du héros à l’acte II donne ensuite lieu à un second divertissement final2 en lien avec ce même conflit : un ballet de trois scènes destiné à l’armement de Persée. Il reçoit alors des objets magiques (une épée, des talonnières ailées, un bouclier réfléchissant et un casque d’invisibilité) des mains de différentes créatures (des cyclopes, des nymphes guerrières et des divinités infernales) qui viennent de la part de chacun des dieux (Vulcain, Pallas et Pluton) qui soutiennent le héros. Ce divertissement s’avère important sur différents plans. Du point de vue de la caractérisation du personnage, des travaux ont bien montré comment l’équipement divin est essentiel à la représentation de la figure de Persée :
Comment reconnaître Persée ? Comme les dieux, les héros sont associés à des objets qui fonctionnent comme des attributs distinctifs, des signes de reconnaissance. […] Ces quatre objets établissent une liste canonique, grâce à laquelle se reconstitue le déroulement narratif de l’exploit héroïque : pour aller affronter Méduse, Persée bénéficie de l’aide d’objets magiques, et par là même de celle des dieux. Grâce aux sandales ailées, il peut se rendre aux confins du monde, là où résident les Gorgones, et en revenir, même pourchassé par elles (comme sur le bouclier d’Héraklès) ; l’épée est l’outil de la décapitation ; la besace l’instrument nécessaire pour transporter la tête ; le casque d’Hadès, qui apporte l’invisibilité, facilite l’approche vers les monstres, et la fuite (Beaucé et Thévenet, 2014, p. 229-230).
Sur le plan dramaturgique, il s’agit d’une manière de lier le divertissement, en l’occurrence une cérémonie, avec l’intrigue. Cela permet d’intégrer naturellement l’orchestre et le ballet à la scène infernale spectaculaire d’armement du héros, par le contexte cérémoniel évoqué et parce que cela correspond au mode d’expression de l’univers merveilleux :
Il existe tout d’abord une forme d’introduction musicale qui n’a pas besoin d’être expressément légitimée : l’ouvrage peut représenter en effet des situations telles que, si elles étaient réelles, on y entendrait ou on y ferait de la musique. La présence de la musique est dans ce cas une présence ordinaire, semblable à celle qu’elle occupe dans les circonstances sérieuses de la vie réelle. […] D’une façon plus générale et plus poétique, la présence de la musique se justifie par la nature de l’action et par celle des personnages du théâtre lyrique : musique et danse trouvent dans le merveilleux un terrain favorable et naturel. Le raisonnement ne diffère ici en rien de celui qui vaut aussi pour la danse : l’ordre du merveilleux, joint à la dimension extra-ordinaire des héros, fera de leur rapport à la musique une situation perçue de façon naturelle […] (Kintzler, 2006 [1991], p. 300-301).
Par ailleurs, on assiste à un traitement épique du personnage central, plutôt que tragique, dans cette scène d’armement que l’on pourrait retrouver dans l’Iliade d’Homère. En fait, l’héroïsme qui se dégage des livrets de Quinault est une réponse directe à l’augmentation du degré de la menace (Kintzler, 2006 [1991], p. 182-186), deux éléments qui se substituent aux intrigues politiques de la tragédie régulière.
À l’acte III, la scène d’affrontement se déroule en trois temps : l’enchantement des gorgones par le dieu Mercure (permettant de représenter une scène de songe par la même occasion), la décapitation de Méduse par Persée et l’apparition des monstres naissant du sang de Méduse (qui constitue un ballet infernal sur la scène). Ainsi, un seul affrontement permet de représenter cinq topoï de la tragédie lyrique – l’affrontement lui-même, le divertissement, la scène infernale, l’enchantement et la scène de songe – en plus de mobiliser l’orchestre, les entrées de ballet et les machines qui font voler Mercure et les différentes créatures. Cette convergence des différents arts qui participent à l’élaboration du spectacle et des scènes types de la tragédie lyrique regroupées en un seul acte montre comment Quinault et Lully cherchent à susciter l’intérêt de leur public : ils veulent à la fois l’émerveiller par l’utilisation du merveilleux, le changement de décor et le divertissement d’envergure, l’inquiéter par des motifs horrifiques et le surprendre par le coup de théâtre qui termine l’acte et relance l’action. Laura Naudeix remarque :
[le choix du sujet] doit certes être de nature à constituer une belle scène, à partir de laquelle l’œuvre sera construite à rebours, et donnera le titre de l’œuvre, mais il doit également contenir des scènes intéressantes, qui sont, comme les divertissements, tirées ‟du fonds du sujet” […]. Le lien entre le sujet et les différentes situations qui peuvent composer la tragédie installe une tension entre le ‟connu”, c’est-à-dire l’ensemble du réservoir de moments de théâtre dans lequel les librettistes sont amenés à puiser, et ‟l’inconnu”, le nouveau, qui est l’ordre spécifique que confère à cet agencement de fragments la progression vers le dénouement (Naudeix, 2004, p. 440-441).
Dans l’affrontement qui nous intéresse ici, Quinault a puisé l’épisode de Persée et de la gorgone dans le sujet ovidien. Il a ensuite replacé dans le combat du héros contre Méduse de sorte que la scène ne brise pas la chronologie. Cela lui permet d’inclure une action spectaculaire et un divertissement qui se lie naturellement à l’intrigue. Bien que les Métamorphoses était un texte connu à l’époque, le librettiste crée tout de même un effet de surprise en représentant cette scène mise de côté dans l’Andromède (1650) de Corneille, pièce à machines couronnée de succès qui a d’ailleurs été reprise en juillet 1682 pour faire compétition à l’Académie royale de musique et au Persée de Quinault et Lully et qui est restée à l’affiche jusqu’en 1684 (Cessac, 1994, p. 123).
À l’arrivée du héros (scène 3), les gorgones sont endormies. Sur le plan musical, la tonalité de l’affrontement passe à la gamme de fa majeur, qui représente la terreur chez Lully (Legrand, 1992, p. 10-11). Cette terreur ambiante est inspirée par le lieu lugubre de la grotte des gorgones et par le danger qu’incarnent Méduse et ses sœurs, dont les costumes sont dessinés par Jean Bérain. Les éléments horrifiques, exprimés par la tonalité, le décor et les costumes, constituent d’autres manières d’augmenter la sensation de danger qui pèse sur le héros, mais aussi de produire un effet sur le public pour qu’il s’intéresse au destin de ce même héros et qu’il tremble de peur pour lui. À l’instar du traitement épique de Persée, l’horreur suscité par les gorgones sert une esthétique du spectaculaire dans la tragédie lyrique qui cherche à créer une forte impression sur son public.

À l’approche de Persée vers sa victime, les vers laissent place à la musique : dans son entreprise, Persée ne doit pas réveiller les trois sœurs gorgones. C’est donc l’orchestre qui l’accompagne pour dynamiser la scène, comme nous pouvons l’entendre sur l’enregistrement de Christophe Rousset (2001, 2e CD, piste 18). La didascalie nous informe du déroulement des actions : « Mercure se retire ; Persée, tenant son bouclier devant ses yeux, approche de Méduse ; il lui coupe la tête et la cache dans une écharpe pour l’emporter avec lui » (Quinault, 2016 [1999], p. 529). On remarque alors qu’après une préparation de trois actes, l’affrontement de Persée contre Méduse, première étape dans la quête du héros, est quelque peu facilité par les objets magiques qu’il a reçus et par l’enchantement de Mercure qui a préalablement assoupi les monstres. Le combat se résume ainsi en un coup d’épée qui décapite la gorgone, mais il aura donné lieu à trois divertissements spectaculaires sur le plan de la construction du livret : l’interruption des jeux junoniens par l’arrivée de Méduse, le ballet d’armement de Persée et finalement, la scène infernale qui succède à sa victoire.
En effet, Persée commet une erreur en se réjouissant rapidement de sa réussite à voix haute, ce qui réveille Euryale et Sténone, les deux sœurs gorgones. Une didascalie explique la suite de la scène :
Chrysaor, Pégase, et plusieurs autres monstres de figure bizarre et terrible, se forment du sang de Méduse. Chrysaor et Pégase volent, quelques-uns des autres monstres s’élèvent aussi dans l’air, quelques autres rampent, les autres courent, et tous cherchent Persée qui est caché à leurs yeux par la vertu du casque de Pluton qu’il a sur la tête (Quinault, 2016 [1999], p. 529-530).
Le passage de naissance des monstres, à partir du sang de Méduse, semble difficile à représenter en raison du nombre de créatures qui font leur entrée et habitent l’espace, de la machinerie nécessaire pour exécuter les envolées, de la contrainte de bienséance (puisqu’on ne peut ensanglanter la scène) et du ballet infernal qu’elle engendre. Il s’agit d’un épisode surprenant, mais surtout particulièrement spectaculaire dans l’œuvre de Quinault et Lully. Si l’affrontement lui-même était plutôt simple dans son exécution, il a pourtant motivé les divertissements et tous les ressorts spectaculaires des trois premiers actes, se terminant sur le déploiement d’un danger important. L’acte III se conclut sur la fuite du héros victorieux qui s’envole, alors que Mercure s’occupe d’engouffrer les monstres, sorte de punition divine représentée symboliquement par la chute des créatures dans une trappe. La chute illustre ainsi la dichotomie entre les cieux (cintres) qui représentent le bien – la victoire – et les Enfers (sous la scène) qui figurent le mal et la défaite5.
Si nous nous intéressons désormais à la manière dont l’affrontement de Persée contre Méduse est représenté dans l’adaptation moderne d’Hervé Niquet (2004), on remarque d’abord le travestissement des gorgones et, au terme de l’affrontement, la tête tranchée de Méduse avec son expression faciale caricaturale. Mais ce qui frappe davantage, c’est le traitement comique de la scène par la pantomime extravagante des personnages :
This is what the audience at the Elgin Theatre saw when, after intermission, the curtain went up on Act III. The actor representing Méduse (baritone Michael Chioldi, […]) was standing center front in a tight suit of dissipated shades of green, open on his hairy chest. Wearing an elaborate headpiece, he held a mirror before him and struck a pose that suggested both the gracious figure of a Berain costume and the attitude of a flamboyant drag queen […] (Bolduc6, 2004, par. 6.2).
Plutôt que de s’appuyer sur un effet horrifique avec les costumes et le jeu des comédiennes, la mise en scène moderne opte pour un déplacement des traits féminins des gorgones dans les corps des acteurs perçus comme masculins, et ce dans le but d’étonner, de déstabiliser le public et d’actualiser le propos :
Far from being simply amusing or grotesque, this interpretation provoked a predictably varied response from the audience at the Elgin Theatre. Some laughter was heard, but some people seemed surprised and embarrassed. Some traditionalists I spoke with afterwards were critical, seeking in the strict rules of the tragédie en musique a purity, a distance, and a decorum that they saw violated. What I have tried to show above, however, is that a hybridity of character, of music, and of theatrical genre had always been present and enriching in Persée. Although anachronistic in this “historically informed” production, camping Méduse succeeded in restoring the luster and the profound shock and appeal of this character for an audience largely not invested in the rules of seventeenth-century poetics (Bolduc, 2004, par. 6.3).
Cela crée un autre décalage comique supplémentaire, puisque c’est le comédien tenant le rôle du roi Céphée qui joue Méduse. D’aucuns peuvent trouver la représentation des gorgones choquante ou anachronique. Pourtant, Benoît Bolduc relève qu’il ne s’agit pas d’un aussi gros décalage qu’il n’y paraît :
In setting the music for this monstrous incarnation of rage, Lully chose the tenor (taille) voice, the voice type traditionally used for old or ridiculous female characters. Well-known tenors took the role in several eighteenth-century revivals: Mantienne, who sang Méduse in 1710 and 1722, specialized in “side-kick” and comic roles. Cuvillier, who sang Méduse in 1737, was renowned for his “pleasant” interpretation of old women. While the tradition of having men play ugly and old women was said to protect actresses from having to hide their allure, in 1746 the tradition was broken, and it was a woman who played Méduse. The novelty was announced with some excitement by the Mercure: “There is a charming novelty in the performance, which we are announcing to the public. In past productions, the role of Méduse, along with those of her two sisters, was performed by a man, whereas today it is played by Mademoiselle Metz” (Bolduc, 2004, par. 5.3).
Ainsi, bien plus que le travestissement du personnage, le véritable décalage entre le livret et la captation moderne se situe dans le ton et la pantomime comique des gorgones. En effet, Quinault avait unifié le registre sérieux de ses pièces après quelques opéras dont les scènes grotesques avaient été critiquées. Par ailleurs, pour la mise en scène de 2004, il était beaucoup plus aisé et satisfaisant de créer un effet comique délibéré, plutôt qu’un effet horrifique qui risquait de tourner au ridicule en raison de l’écart entre les conventions théâtrales d’alors et celles d’aujourd’hui. Même à l’époque, il s’agissait d’un enjeu, puisque les critiques et les parodies de tragédies lyriques se moquaient principalement des faiblesses d’exécution de différents ressorts spectaculaires7 (Beaucé et Thévenet, 2014, p. 227-248 ; Le Blanc, 2012, p. 247-262 ; Ligier-Degauque, 2011, p. 335-349).
Une autre différence marquante est sans doute la naissance des monstres qui a complètement été effacée du spectacle. De cette manière, la représentation moderne évite la part la plus complexe et la plus coûteuse du divertissement final de l’acte : le jeu des machines, ainsi que l’organisation du ballet final composé des monstres rampants et des monstres volants. La danse, discipline artistique qui plaisait tant à l’époque, était issue d’une longue tradition renaissante (Anthony, 1981, p. 40-50 ; Norman, 2009 [2001], p. 82). Cela permettait de représenter l’horreur et la violence de manière esthétisée (Kintzler, 2006 [1991], p. 191-198), par des chorégraphies symboliques. Le retrait du divertissement final de l’acte III est attribué au repos dont avait besoin le « modeste corps de ballet composé de douze danseurs » (Bolduc, 2004, n. 28). Selon Benoît Bolduc, cela a pour effet de concentrer toute l’attention sur une esthétique du camp déployée par les flamboyantes gorgones (Bolduc, 2004, par. 6.2).
Persée contre le monstre marin de Neptune : un affrontement imposant
Le deuxième affrontement du livret est celui de Persée contre le monstre marin de Neptune, envoyé pour dévorer la princesse Andromède. Ce combat est beaucoup moins préparé sur le plan dramatique que le précédent, puisqu’il s’agit de la scène la plus attendue : la délivrance d’Andromède est au cœur du mythe de Persée chez Ovide et constitue l’acte pivot dans la tragédie à machines de Corneille créée trente-deux ans plus tôt.
Le combat éclate à la scène 6, lorsque Persée « en l’air » (Quinault, 2016 [1999], p. 538) arrive des cintres grâce aux talonnières ailées offertes par Vulcain. La scène est alors divisée en trois espaces : un rocher au milieu des flots où Andromède est prisonnière des tritons et des néréides, un rivage d’où le roi Céphée, la reine Cassiope et le peuple éthiopien commentent l’action, et la mer où s’affrontent le monstre marin et Persée en volant.

On remarque au passage une symétrie du décor où le combat est central sur la scène, alors que de chaque côté fusent les plaintes du peuple impuissant sur le rivage et les invectives des divinités marines ennemies sur les rochers opposés. La scénographie de Jean Bérain et Ercole Rivani est en elle-même spectaculaire : cette composition symétrique correspond aux codes esthétiques de l’époque9. Notons aussi que la division et la nature des lieux apportent une certaine complexité (si on les compare à des toiles de fond plus génériques représentant des palais) et que les machines servent l’animation des décors autant que des personnages10. En effet, la mer s’agite de plus en plus à l’arrivée du monstre marin, ce qui fait monter la tension dramatique par un élément technique visible11. Le pathétique de la situation est amplifié par la configuration des lieux, indépendants les uns des autres, ainsi que par l’impuissance qui en résulte de la famille royale et du peuple éthiopien devant l’enlèvement de la princesse et face à la bataille de Persée contre le dragon marin. Ce pathétique découle du fait qu’Andromède est injustement sacrifiée, que personne ne peut lui venir en aide et que toutes les tentatives de réconciliation entre Cassiope et Junon ont été vaines. Pour Sophie Marchand, il s’agit d’une manière de mettre en scène le pathétique par la « persécution des justes » :
Le schéma sacrificiel n’est efficace que dans la mesure où les personnages qui font l’objet de la persécution semblent n’avoir en rien mérité ce qui leur arrive. Réveillant chez les spectateurs la conscience d’une disconvenance éthique, la représentation mobilise toutes les ressources de l’âme, nouant dans un même mouvement l’intrigue de la pièce et le cœur du public. Mais l’injustice n’est qu’un moment du drame, et cette phase trouve bientôt sa justification, dramatique autant qu’éthique, lors de dénouements providentiels (Marchand, 2009, p. 325).
Pour une scène si emblématique, l’affrontement n’est que très peu détaillé dans le livret. Des vers chantés marquent le début et la fin des hostilités et le combat est résumé en une simple didascalie : « Persée vole et combat le monstre » (Quinault, 2016 [1999], p. 538). Quinault ne peut faire chanter les combattants de sa pièce, étant donné que l’un d’entre eux n’est pas humain et que les machines font beaucoup de bruit (Naudeix, 2004, p. 63). De plus, le comédien qui tient le rôle de Persée a déjà bien assez de mouvement à gérer, tout en conservant son équilibre dans les airs, afin que l’affrontement soit réussi. Le librettiste laisse donc le soin aux machinistes d’élaborer le spectacle et les mouvements de l’affrontement : le livret d’opéra est avant tout un texte dramatique destiné à être représenté et l’art du spectacle est un travail collectif entre les différents artisans (Escande, 2013, p. 189-191). On peut tout de même émettre certaines hypothèses quant à la représentation de cet affrontement. Persée vole et arrive des cintres, du moins des hauteurs, alors que le monstre surgit des eaux et doit se mouvoir au niveau du sol. Leurs positions donnent ainsi lieu à une chorégraphie aérienne développée par les machinistes, de sorte que le héros attaque et évite son adversaire par des combinaisons de mouvements obliques, des piqués et des changements de direction. La chorégraphie aérienne se veut complexe et spectaculaire à l’époque :
[…] les programmes de pièces à machine caractérisent et évaluent différents types de mouvements. Derrière l’admiration pour la difficulté technique des vols, on peut remarquer que la rupture des plans parallèles constitue un summum de « réussite », notamment lorsque les machines parviennent à produire un mouvement circulaire ou oblique […]. L’originalité de la trajectoire est un critère de qualité du spectacle, les desseins et sujets distinguant les mouvements centrifuges et centripètes, ascendants et « tombants » de la salle vers la scène […]. Les changements de trajectoire en plein vol […] suscitent la plus grande admiration […] (Michel, 2021, p. 131-132).
Sur le plan musical, l’affrontement passe de la tonalité de fa majeur, qui représente les moments de terreur chez Lully, à celle de ré mineur qui représente la victoire, selon le tableau des tonalités de Persée établi par Raphaëlle Legrand (1992, p. 10-11). S’il n’y a pas un déploiement important de l’orchestre dans la partition, comme on pourrait le penser pour ce genre de scène, l’alternance des répliques chantées mime l’affrontement lui-même. En effet, pendant que Persée combat le monstre, les deux camps (celui des tritons et des néréides et celui des Éthiopiens et de la famille royale) commentent le combat :
LES NÉRÉIDES et LES TRITONS
Téméraire Persée, arrêtez, respectez
La vengeance divine.
CÉPHÉE, CASSIOPE, et LES ÉTHIOPIENS
Magnanime Héros, combattez, remportez
Le prix que l’Amour vous destine12
Cette séquence de deux vers qui s’alternent, venant de chacun des partis, imite musicalement les attaques des assaillants dans une cadence vive et rythmée. Les vers s’accélèrent et s’entrecoupent comme autant de coups d’épée, mais toujours de manière symétrique. L’arrangement musical de Lully donne symboliquement l’avantage au héros : le chœur, composé des Éthiopiens, de Céphée et de Cassiope, est appuyé par l’orchestre, des cuivres et des lignes mélodiques qui montent vers les aiguës, annonçant une gloire certaine. De l’autre côté, les tritons et les néréides ont un accompagnement très réduit, composé de violons et de violes aux lignes mélodiques descendantes pour exprimer leur ton grave et défaitiste (Rousset, 2001, 3e CD, piste 10). Le rôle des chœurs et de la musique est de commenter l’action d’une part et de dynamiser la scène d’autre part, mais aussi d’offrir une représentation musicale de l’affrontement, à la fois par les chœurs et par leur accompagnement distinctif. Par ailleurs, la musique joue également un rôle plus technique : celui de cacher le vacarme des machines lors de l’affrontement.
Si le combat entre Persée et le monstre marin de Neptune n’a pas été préparé comme celui du héros contre Méduse, sa représentation n’en est pas moins impressionnante. Au contraire, on assiste à une progression des effets spectaculaires. La nature de l’adversaire, en l’occurrence un monstre machine, est beaucoup plus imposante que la gorgone jouée par une comédienne. Le contexte dans lequel l’action se déroule est aussi bien différent : le dragon de Neptune est actif dans la bataille et menace le royaume, alors que Méduse était endormie. La complexité du décor est incomparable et le combat aérien composé des envolées sensationnelles de Persée offre une représentation beaucoup plus impressionnante que le simple coup d’épée de la décapitation. L’arrangement musical est largement plus développé avec les chœurs et leurs accompagnements lors de cet affrontement que lors du précédent. À titre comparatif, le meurtre de la gorgone s’étend sur 13 mesures (environ 15 secondes dans la captation moderne), alors que la lutte entre Persée et le monstre marin prend 52 mesures (environ une minute dans la captation moderne) à se déployer (Lully, 1682, p. 163-164 et p. 227-233 ; Niquet, 2004). La scène est en quelque sorte quatre fois plus développée que le premier exploit de la quête héroïque de Persée13.
De la même manière, le divertissement qui succède à la victoire du héros sur le dragon de Neptune convient au degré de la menace et à l’éclat du combat. C’est ainsi qu’une foule de matelots et d’Éthiopiens entrent en scène pour la célébration finale de l’acte. Le divertissement est longuement développé, plus encore que ceux des actes précédents, enchaînant les chœurs, les danses et les différents airs à la gloire des amants qui se retrouvent. En effet, le ballet infernal précédent servait davantage à susciter la crainte du spectateur et à relancer l’action par un coup de théâtre. Ici, Persée semble avoir vaincu tous les obstacles divins. C’est pourquoi un divertissement de taille s’organise pour représenter le retour à l’ordre pour le peuple éthiopien qui peut maintenant profiter de la paix que le héros a ramenée dans le royaume.
Encore une fois, la principale différence entre le livret et l’adaptation moderne (Niquet, 2004) est l’omission des machines les plus complexes, c’est-à-dire de celles faisant du combat entre Persée et le monstre marin un affrontement aérien. Les envolées du héros sont effacées, au profit d’acrobaties de l’épéiste contre le dragon, sorte de marionnette géante à mi-chemin entre le costume et la machine. Si la créature, malgré tout, rend bien l’effet spectaculaire, on comprend que le combat aérien est, lui, beaucoup plus difficile sur les plans technique et financier à représenter pour que le héros soit pris au sérieux et que la scène soit vraisemblable. Quant au divertissement, il est représenté intégralement dans la symétrie que Quinault et Lully préconisaient dans la création de leur pièce. On assiste alors à une grande fête qui suggère la fin des tracas. Le faste des célébrations est ainsi proportionnel à la grandeur de l’exploit, qui est elle-même directement liée au degré de la menace que Persée a vaincue.
Persée contre son rival Phinée : l’obstacle ultime
L’affrontement final de Persée se déroule au milieu de l’acte v (scènes 5 à 7), alors que Phinée, le rival amoureux, interrompt le mariage du héros et de la princesse. Ce dernier affrontement est une réponse au conflit politico-amoureux exposé aux premier et deuxième actes : Andromède est promise à Phinée, mais elle ne l’aime pas. À mesure que le héros réalise ses exploits, le roi Céphée en vient à lui donner sa faveur et revient sur la promesse qu’il avait faite à son frère. Après avoir terrassé les monstres envoyés par les dieux, il ne reste qu’un seul obstacle qui se dresse devant le bonheur de Persée et Andromède : l’amant jaloux et son armée14.
S’ensuit donc une bataille entre les armées de Céphée et de Persée contre celle de son rival, sur scène et hors scène, avec des poursuites et des récits qui rapportent l’action qui se déroule en coulisses. On assiste d’abord, à la scène 5, aux premiers échanges :
PHINÉE et sa Suite
Persée, il faut périr, meurs, et laisse Andromède
Au pouvoir d’un heureux rival.
CÉPHÉE, PERSÉE, et leur Suite
Perfides, recevez le châtiment fatal
De la fureur qui vous possède.
TOUS LES COMBATTANTS
Cédez, cédez à notre effort ;
Vous n’éviterez pas la mort.15
Comme dans l’exploit de Persée contre le monstre de Neptune, le chant et la musique participent activement à la représentation du combat. Cette fois-ci, ce sont les combattants eux-mêmes qui forment deux chœurs et qui s’invectivent en représentant chacun des camps. Par ailleurs, les trois groupes de combattants constituent des troupes de danseurs, de sorte que les mouvements que nécessite la représentation de la guerre soient chorégraphiés. Si les deux affrontements précédents donnaient lieu à des divertissements sous la forme de ballets, l’un infernal et l’autre festif, pour célébrer la victoire de Persée sur le dragon marin, celui-ci sert la représentation de la bataille elle-même de manière esthétisée, permettant de figurer les poursuites comme différentes entrées.
À la scène 6, les combattants se trouvent en coulisses et donnent l’occasion au roi Céphée de commenter le combat dans une scène de récit :
CÉPHÉE parlant à Cassiope
Le soin de vous défendre en ces lieux me rappelle.
Craignez tout d’un peuple rebelle ;
Quel sang n’ose-t-il point verser !
Un trait, que sur Persée on a voulu lancer,
A frappé votre sœur d’une atteinte mortelle.
Junon, implacable pour nous,
Anime les mutins de son fatal courroux.
Leur rage croît, leur nombre augmente ;
Persée en vain toujours combat avec chaleur,
Que servent les efforts qu’il tente,
Le nombre tôt ou tard accable la valeur16
La mort de Mérope racontée par le roi permet d’élargir la portée tragique du livret. En effet, l’amante s’était d’abord alliée au traitre Phinée avant de venir confesser son crime. Le sacrifice17 qu’elle commet pour sauver Persée – celui qu’elle aime – est tragique au sens où elle donne sa vie pour sa rédemption personnelle et pour garantir le bonheur du héros dont elle sera séparée. Dans cette scène, Quinault conjugue habilement les motifs de la tragédie régulière avec le caractère épique propre à la tragédie lyrique. De plus, le récit de Céphée rapporte les difficultés de Persée dans son combat, alors que le héros a toujours aisément triomphé dans les précédents conflits. Le fait de rapporter l’épisode permet d’augmenter la tension dramatique, puisque le spectateur ne voit pas le combat qui se poursuit en coulisses.
À la scène 7, alors que les combattants-danseurs reviennent sur scène en développant davantage la chorégraphie martiale, on découvre que l’affrontement final est une manière de lier les différents combats entre eux comme des étapes dans le cheminement héroïque de Persée : ce dernier, écrasé par le nombre de ses adversaires, sort la tête de Méduse qu’il avait emportée avec lui à l’acte iii et pétrifie ses assaillants. Ainsi, comme ultime ressort, le héros est contraint d’utiliser le surnaturel pour vaincre ses derniers adversaires. Le même dénouement avait été utilisé, neuf ans plus tôt, dans Cadmus et Hermione (1673) des mêmes Quinault et Lully18. Entre les deux pièces, on remarque d’emblée toute l’expérience que le librettiste a gagnée au fil des années : le deus ex machina de leur première tragédie lyrique est repris, mais habilement préparé au sein de l’intrigue, d’autant plus que Persée, à la différence de Cadmus, pétrifie lui-même ses assaillants, ce qui lui confère une victoire mieux méritée. Par ailleurs, comme Catherine Kintzler le mentionne, le merveilleux doit toujours être la solution ultime dans les tragédies lyriques de sorte que le renversement final soit vraisemblable et que la progression dramatique soit naturelle : « D’une manière générale, le merveilleux fort n’intervient qu’après l’échec des moyens ordinaires et du merveilleux faible » (Kintzler, 2006 [1991], p. 231). Aussi n’est-ce qu’après avoir combattu pendant deux scènes sans succès que Persée se voit dans l’obligation de recourir au surnaturel pour vaincre ses ennemis.
La guerre entre Persée et Phinée constitue donc un affrontement d’envergure par le nombre de comédiens-danseurs mobilisés pour représenter la bataille qui éclate. S’il est difficile d’imaginer un affrontement plus impressionnant que celui de Persée contre le monstre machine, la guerre réussit pourtant à produire cette progression spectaculaire, puisqu’il s’agit du seul combat qui s’étend sur plus d’une scène. Toujours à titre de comparaison, la bataille des scènes 5 à 7 représente un total de 81 mesures (trois minutes dans la captation moderne), c’est-à-dire que le combat se développe sur une période deux à trois fois plus longue que celui entre Persée et le monstre marin (Lully, 1682, p. 287-309 ; Niquet, 2004).
Il s’agit aussi du seul affrontement montrant le héros en mauvaise posture, ce qui contribue à augmenter considérablement la menace qui pèse sur Persée. Ce nouvel obstacle est encore plus difficile à surpasser que ne pouvaient l’être Méduse ou le dragon marin de Neptune. Enfin, la pétrification finale contribue à rendre l’événement plus spectaculaire par l’utilisation d’un ressort merveilleux inattendu, point culminant qui vient lier ensemble tous les épisodes du livret. Ainsi, la métamorphose des adversaires, en tant que coup de théâtre, met un terme définitif à toutes les oppositions qui se dressaient devant le couple de Persée et Andromède « Que les Enfers, la Terre et les Cieux, / Que tout l’univers favorise » (Quinault, 2016 [1999], p. 524). Ce sont ces vers qui sont à la base du divertissement final de la pièce où le héros épouse finalement la princesse. La tragédie lyrique se termine sur un paroxysme du spectaculaire alors que le peuple éthiopien célèbre les amants et le retour à l’ordre. Les divinités se joignent aux festivités, notamment Vénus, déesse de l’amour, qui fait descendre son palais tout entier des cintres pour officialiser le mariage sur le plan divin19. Le changement de décor à vue permet ensuite à Vénus d’élever les époux dans les cieux, rappelant la métamorphose de Persée et Andromède en constellation dans le mythe ovidien. Cela établit les parfaits amants en modèle tout en finissant la pièce sur un divertissement à l’envergure inégalée.
La principale différence entre le livret et l’adaptation moderne de Niquet (2004) se trouve dans la composition des deux camps adverses. Phinée est bel et bien accompagné de son armée, mais Persée se retrouve seul face à son rival et ses six soldats. Sur le plan chorégraphique, la scène est considérablement simplifiée : on réduit pratiquement le nombre de personnages par trois. La scène d’affrontement apparaît peut-être moins impressionnante par rapport à ce qui avait été prévu originellement par Quinault et Lully, mais elle permet toutefois une plus grande clarté dans la représentation de la guerre sur scène. En effet, cette dernière est nettement moins habitée et le héros se distingue aisément de ses assaillants qui portent tous le même costume. Cela lui donne le loisir d’effectuer des acrobaties et d’être bien mis en valeur au centre de ses assaillants, alors que la chorégraphie était plus simple et imitative à l’origine20. La diminution du corps de ballet dans l’adaptation moderne permet donc de suggérer la guerre dans un affrontement épuré et ainsi d’éviter la confusion des spectateurs dans ce ballet aux nombreux guerriers-danseurs, tout en plaçant le héros à la merci de l’armée de son rival. Par ailleurs, toute l’attention est portée sur le héros et ses figures acrobatiques.
Conclusion
En conclusion, dans Persée, les affrontements servent autant la progression de l’intrigue que toute une esthétique du spectaculaire. La gradation des motifs spectaculaires est visible tant à l’échelle de chacun des actes de manière individuelle qu’à l’échelle de la pièce entière. On remarque notamment que les différents combats sont plus impressionnants et plus développés les uns et les autres. La menace qui pèse sur le héros et sur l’Éthiopie est toujours plus importante, puisque les différents lieux des affrontements se rapprochent du palais royal : la grotte des gorgones se trouve à l’extérieur des murs, tandis que le combat du monstre marin se déroule au port, puis la guerre civile éclate à l’intérieur même de l’enceinte. La nature des adversaires et le danger qu’ils représentent s’accentuent également au fil des actes.
Quinault et Lully se renouvellent sans cesse dans la mise en scène de ces affrontements. Le premier présente la décapitation du personnage de Méduse par Persée. Le héros affronte ensuite le dragon-machine qui se meut sur scène à l’aide de câbles et de poulies. Finalement, la guerre qui éclate entre les rivaux est figurée par un ballet imitatif de la bataille et s’étend sur plus d’une scène. Par ailleurs, l’importance croissante que prend chacun des divertissements renforce l’idée que chacun des affrontements est plus imposant que le précédent.
Certaines de ces scènes sont difficiles à représenter et témoignent des moyens financiers déployés pour la création de tragédies lyriques, genre le plus prestigieux pendant près de deux décennies (1670-1680) (Norman, 2009 [2001], p. 7-8).
Bref, l’importance des scènes d’affrontement est telle dans Persée qu’elle nous semble participer pleinement à l’élaboration d’une esthétique du spectaculaire dans l’opéra français du XVIIe siècle. En revanche, même si la plupart des tragédies lyriques de Quinault et Lully présentent au moins un affrontement, ce ne sont pas toutes les pièces qui s’en servent comme moteur de la progression de l’intrigue. Buford Norman (2019) remarque que les aventures passées des héros sont évoquées dans des scènes de récits, mais ne sont plus présentées devant les spectateurs dans les dernières pièces de Quinault. D’autres scènes types sont aussi porteuses d’une esthétique spectaculaire, par exemple, dans Thésée (1675) et dans Armide (1686), ce sont les pouvoirs magiques des enchanteresses qui motivent les changements de décor, les divertissements, l’utilisation des machines, les chorégraphies et l’orchestration. Dans Alceste (1674) et dans Proserpine (1680), le spectaculaire se dégage des lieux infernaux et d’une esthétique de la grandeur : la première pièce met en scène un enlèvement d’envergure sur des bateaux de guerre et le siège d’une cité, alors que dans la seconde, la menace du renversement de l’ordre par les titans pèse sur les personnages. Quoiqu’il en soit, le spectaculaire revêt différentes formes et produit plusieurs effets : il s’agit d’une manière de présenter et de rendre vraisemblable des événements hors du commun dans toute leur complexité et leur pompe pour qu’ils étonnent et frappent l’imaginaire. Quinault et Lully ont su travailler ce matériau dans le but d’élaborer une réelle esthétique du spectaculaire qui atteint son point culminant avec Persée, une tragédie lyrique qui regorge d’actions, des ressorts merveilleux et de splendides divertissements et dont tous les éléments convergent vers un même point. Pour réécrire une citation célèbre de La Bruyère dans la lignée de notre analyse, « le propre [du spectaculaire] est de tenir les esprits, les yeux et les oreilles dans un égal enchantement » (La Bruyère, 1951 [1935], p. 79).
Bibliographie
Corpus
Lully, J.-B. (1682). Persée, Paris, Christophe Ballard, 390 p.
Niquet, H. (direction d’orchestre) (2004). Persée. Opera Atelier (production). Tafelmusik Baroque Orchestra & Choir (orchestre et chœur), Toronto, Atlantic 18 Productions, 126 min.
Quinault, P. (2016 [1999]). Livrets d’opéra, présentations et annotations par B. Norman, 3e éd. revue et corrigée, Paris, Hermann, 837 p.
Rousset, C. (2001). Persée. Les Talens Lyriques et la chorale des Chantres de La Chapelle (orchestre et chœur), Paris, Cité de la musique, 3 CD, 165 min.
Sources antérieures à 1800
Corneille, P. (1651). Andromède, Rouen, Chez Laurens Maurry, 154 p.
Furetière, A. (1690). Dictionnaire universel, 3 tomes, La Haye, A. et R. Leers, 2 160 p.
La Bruyère (de), J. (1951 [1935]). Œuvres complètes, édition établie et annotée par Julien Benda, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 739 p.
La Rue (de), C. (1677). Persée, Paris, S. Bernard, 8 p.
Mercure Galant (1682). Paris, G. de Luynes, C. Blageart et T. Girard, avril 1682, p. 328-331.
Ovide (2022 [2019]). Les Métamorphoses, traduction du latin et présentation d’O. Sers, Paris, Les Belles Lettres, 457 p.
Racine, J. (1999). Œuvres complètes I : théâtre et poésie, édition présentée, établie et annotée par Georges Forestier, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1 799 p.
Ouvrages de référence
Anthony, J. R. (1981). La musique en France à l’époque baroque : de Beaujoyeulx à Rameau, traduit de l’anglais par B. Vierne, Paris, Flammarion, 556 p.
Bolduc, B. (2002). Andromède au rocher : fortune théâtrale d’une image en France et en Italie (1587-1712), Florence, Leo S. Olschki Editore, 389 p.
Kintzler, C. (1998). La France classique et l’opéra… ou la vraisemblance merveilleuse, Arles, Harmonia Mundi, 2 CD et 63 p.
Kintzler, C. (2006 [1991]). Poétique de l’opéra français de Corneille à Rousseau, Paris, Minerve, 487 p.
La Gorce (de), J., Bouffard-Veilleux M. et Fernández Masaguer, V. (2021). En scène ! Dessins de costumes de la collection Edmond de Rothschild, avec la collaboration du Musée du Louvre, Paris, LienArt, 231 p.
La Gorce (de) (2002), Jérôme. Jean-Baptiste Lully, Paris, Fayard, 910 p.
Marchand, S. (2009). Théâtre et pathétique au XVIIIe siècle : pour une esthétique de l’effet dramatique, Paris, Honoré Champion, 841 p.
Naudeix, L. (2004). Dramaturgie de la tragédie en musique (1673-1764), Paris, Honoré Champion, 583 p.
Norman, B. (2009 [2001]). Quinault, librettiste de Lully. Le poète des Grâces, traduction de T. Vernet et J. Duron, Bruxelles, Mardaga, 381 p.
Articles de revues et chapitres de livres
Beaucé, P. et Thévenet, L. (2014). Persée armé de pied en cap : réécritures lyrique et parodique sur la scène française (XVIIe et XVIIIe siècles), Gaia : revue interdisciplinaire sur la Grèce Archaïque, (17), 227-248.
Bolduc, B. (2004). From Marvel to Camp: Medusa for the Twenty-First Century, Journal of Seventeenth-Century Music, 10(1). https://www.sscm-jscm.org/v10/no1/bolduc.html
Bouissou, S. (1993). Le phénomène de la catastrophe naturelle dans l’opéra baroque français (1671-1774), Revista de Musicología, 16(5), 3004-3016.
Cessac, C. (1994). La musique de Marc-Antoine Charpentier pour les pièces à machines (1675-1682), Littératures classiques, (21), 115-124.
Escande, F. (2013). À propos du livret d’opéra : la tragédie lyrique comme objet d’étude pluridisciplinaire, l’exemple de Callirhoé de Roy et Destouches, Littératures, (67), 189-203.
Gethner, P. (1989). La fonction des sentences dans les livrets de Quinault, Cahiers de l’Association internationale des études françaises, (41), 129-144.
Grosperrin, J.-P. (2003). Le songe et le moment. Sur la dramaturgie du songeur dans la tragédie lyrique. Dans N. Dauvois et J.-P. Grosperrin (dir.), Songes et songeurs (XIIe-XVIIIe siècle) (p. 187-203), Québec, Les Presses de l’Université Laval.
Guyon-Lecoq, Camille (1998). Les enfers dans la tragédie lyrique française (1673-1733. Dans G. Venet (dir.), Le Mal et ses masques (p. 189-240), Lyon, ENS Éditions.
Hoile, C. (2014, 27 avril). Persée by Jean-Baptiste Lully, directed by Marshall Pynkoski. Opera Atelier, Elgin Theatre, Toronto. April 26 – Mai 3, 2014, Reviews 2014. https://www.stage-door.com/Theatre/2014/Entries/2014/4/27_Persee.html (Page consultée le 14 février 2025).
Kintzler, C. (1986). De la pastorale à la tragédie lyrique : quelques éléments d’un système poétique, Revue de musicologie, 72(1), 67-96.
Le Blanc, J. (2012). Le merveilleux, pierre de touche de l’opéra et cible privilégiée des parodistes. Dans A. Terrier et A. Dratwicki (dir.), Le surnaturel sur la scène lyrique, du merveilleux baroque au fantastique romantique (p. 247-262), Lyon, Symétrie – Palazzetto Bru Zane.
Legrand, R. (1992). Persée de Lully et Quinault : orientations pour l’analyse dramaturgique d’une tragédie en musique, Analyse musicale, (27), 9-14.
Ligier-Degauque, I. (2011). Dans les secrets de fabrication de l’opéra : réécritures parodiques des voleries et autres déplacements spectaculaires ». Dans M. Poirson et J.-F. Perrin (dir.), Les scènes de l’enchantement. Arts, théâtralité et conte merveilleux (XVIIe-XIXe siècles) (p. 335-349), Paris, Éditions Desjonquères.
Louvat-Molozay, B. (1997). De quelques créateurs mineurs : l’opéra français avant Lully », Littératures classiques, (31), 81-97.
Michel, L. (2021). L’approche cinématique des spectacles dans les programmes et livrets des pièces à machines, Littératures classiques, 2(105), 123-134.
Nestola, B. (2016). L’opéra italien à la cour de France : réception et adaptation d’un objet étranger (1645-1662), Bulletin du Centre de recherche du château de Versailles, (11). https://doi.org/10.4000/crcv.15097
Norman, B. (2003). Hybrid Monsters and Rival Aesthetics: Monsters in Seventeenth-Century French Ballet and Opera, Theatrum Mundi, Charlottesville, EMF Critiques, p. 180-188.
Norman, B. (2004). Rivalry and Collaboration: The Role of Mérope in Act I, Scene 4 of Quinault and Lully’s Persée, Journal of Seventeenth-Century Music, 10(1). https://sscm-jscm.org/v10/no1/norman.html
Norman, B. (2008). Le rôle de Quinault dans la création de l’opéra français. Dans J. Duron (dir.) Cadmus & Hermione de Jean-Baptiste Lully et Philippe Quinault (p. 71-96), Bruxelles, Mardaga.
Norman, B. (2016 [1999]). Introduction. Dans P. Quinault (dir.), Livrets d’opéra (3e éd. revue et corrigée, p. 5-40), Paris, Hermann.
Norman, B. (2019). Aventures et exploits dans les livrets de Quinault, Littératures classiques, (100), 159-170.
Pierce, K. et Thorp J. (2004). The Dances in Lully’s Persée, Journal of Seventeenth-Century Music, 10(1). https://sscm-jscm.org/v10/no1/pierce.html
Rosow, L. (2004). Lully’s Musical Architecture: Activ of Persée, Journal of Seventeenth-Century Music, 10(1). https://sscm-jscm.org/v10/no1/rosow.html
Schweitzer, C. (2017). Les différentes représentations du songe dans la tragédie lyrique du XVIIe siècle, Les Cahiers de la recherche québécoise en musique, 18(2), 11-20.
Wood, C. (1981-1982). Orchestra and Spectacle in the ‟tragédie en musique” 1673-1715: Oracle, ‟sommeil” and ‟tempête, Proceedings of the Royal Musical Association, (108), 25-46.
[1] À l’inverse, Quinault retranche l’épisode et le personnage de l’oracle Ammon, celui qui annonce qu’Andromède devra être sacrifiée au monstre marin (Norman, 2009 [2001] ; Corneille, 1651). Cette omission permet aux créateurs de Persée de rester dans une action continuellement représentée sur scène et un traitement épique du héros, alors qu’on retrouve chez Corneille une prévalence du discours, bien qu’il intègre combats et machines dans sa pièce. Rappelons que la tragédie à machines était un premier pas vers cette esthétique du spectaculaire. En établissant une poétique de la musique dans l’opéra français, c’est-à-dire qu’elle n’est plus simplement décorative, les créateurs peuvent multiplier la représentation des scènes : tous les artisans participent à leur manière à la construction du sens. La parole n’a plus le monopole de l’effet tragique, puisque les vers doivent s’accorder avec les arrangements musicaux du compositeur (Kintzler, 2006 [1991], p. 289-320). De cette manière, il est beaucoup plus efficace pour Quinault et Lully de retrancher l’oracle Ammon que l’on retrouve dans Les Métamorphoses d’Ovide et dans l’Andromède de Corneille au profit d’une scène d’action et d’un divertissement. Pourtant, il convient de nuancer le propos : Caroline Wood (1981-1982) et Perry Gethner (1989) ont tous deux travaillé sur le phénomène des sentences et des oracles dans la tragédie lyrique, puisque ce sont des motifs récurrents du genre. Toutefois, la chercheuse note : « There is only one oracle in Quinault’s libretti, in Phaéton (1683) but both Psyché (1678) and Bellérophon (1679) written for Lully by other librettists contain references to oracles. In the next thirty years or so after Lully’s death, however, oracles feature in as many as two-thirds of the tragédies en musique. » (Wood, 1981-1982, p. 30). Il est donc doublement intéressant de voir comment le motif de l’oracle est sous-exploité par Quinault et, surtout, remplacé par une scène d’affrontement dans Persée, pièce sur le même sujet que l’Andromède de Corneille.
[2] Chacun des actes qui constituent un opéra doit comporter un divertissement et ces divertissements « ne concluent qu’assez rarement les actes des tragédies lyriques comme on l’a écrit trop souvent ; ils se trouvent généralement aux deux tiers de l’acte et à l’issue de ce "spectacle" qui s’offre à leurs yeux, les personnages principaux reprennent leur discours (justification de l’intermède) » (Duron, 1991, p. 95). En ce qui nous concerne, le divertissement du premier acte de Persée se situe dans l’avant-dernière scène, tandis que celui du deuxième acte se déploie tout au long des scènes 8 à 10 (dernière scène de l’acte). On peut donc parler de divertissements finaux, puisqu’ils se situent dans le tiers final de leur acte respectif.
[3] Tiré de En scène ! Dessins de costumes de la collection Edmond de Rothschild, 2021, (p. 205). © 2021 par RMN-GrandPalais (musée du Louvre) / Thierry Le Mage. Reproduit avec permission.
[4] Tiré de En scène ! Dessins de costumes de la collection Edmond de Rothschild, 2021, (p. 205). © 2021 par RMN-GrandPalais (musée du Louvre) / Thierry Le Mage. Reproduit avec permission.
[5] « Pendant longtemps (...) l’amateur de théâtre a considéré [les dessous] comme un lieu mystérieux, les entrailles de cette machine quasiment humaine. C’était une sorte d’Enfer d’où surgissaient les démons et les méchants, et où disparaissaient les héros malheureux, les morts (...). » (Alain Roy dans Naudeix, 2004, p. 172, n. 2). Laura Naudeix parle donc d’une « porosité de la scène » (p. 174) et associe les dessous de la scène aux Enfers, la scène elle-même à la terre et les cintres à l’Olympe.
[6] Benoît Bolduc, précédemment professeur de littérature française à l’Université de Toronto et auteur de la thèse Andromède au rocher (2002) a été consultant historique pour l’Opéra Atelier lors de la production de Persée en 2000. Il n’a cependant pas été consulté quant à la mise en scène du troisième acte (Bolduc, 2004, n. 1 et n. 3).
[7] Pauline Beaucé et Lucie Thévenet (2014) ont d’ailleurs étudié plusieurs parodies de Persée, comme Arlequin Persée (1722) de Louis Fuzelier, ainsi que Le mariage en l’air et Polichinelle Persée toutes deux de 1737 et composée par Denis Carolet. Dans ces pièces, ce sont surtout les objets magiques caractérisant le héros qui sont tournés en dérision. Chez Carolet, on tourne plutôt le personnage de Méduse au ridicule. On voit donc que ce sont les motifs épiques et horrifiques qui sont renversés dans les parodies.
[8] Duplessis, J.-V. et Desplaces, L. (1710). « Acte IV, Persée délivre Andromède », dans Persée (Lully/Quinault) (p. 152), 2e édition gravée par H. Baussen, Paris, gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France.
[9] « Les premiers décors sont traités dans un respect rigoureux de la perspective et de la symétrie centrale : ainsi des réalisations de Vigarani, et de celles de son successeur, Jean Berain. » (Naudeix, 2004, p. 124) Jérôme de La Gorce rapporte d’ailleurs que « Vigarani ne dessine que la moitié du décor, l’autre est supposée identique. Berain plie en deux ses dessins réalisés à la pierre noire, afin d’obtenir une architecture parfaitement symétrique. » (La Gorce dans Naudeix, 2004, p. 124, n. 3).
[10] « La scène de l’opéra hérite des différentes améliorations apportées à la scénographie au cours du xvii[e] siècle : la scène n’est plus en deux dimensions, comme un tableau, mais étendue en profondeur, pour introduire à la fois la danse et un chœur, dont on sait qu’il est placé en fer à cheval sur les bords et le fond du plateau. Plus tard, ce sont les machines qui définissent un espace plus complexe. L’ensemble de ces interventions font de la scène de l’opéra la scène la plus compliquée et la plus ouverte aux mouvements des différents acteurs du spectacle. » (Naudeix, 2004, p. 123-124).
[11] Voici une présentation des didascalies qui montrent l’évolution du décor de l’acte iv jusqu’à l’apparition du monstre marin de Neptune : « Le théâtre change, et représente la mer et un rivage bordé de rochers » (scène 1, p. 531), « La mer s’irrite, les flots s’élèvent et s’étendent sur le rivage » (scène 2, p. 532), « Les Éthiopiens se placent sur les rochers qui bordent le rivage » (scène 3, p. 534), « Les Tritons et les Néréides paraissent dans la mer. Les Tritons environnent Andromède, et l’attachent à un rocher » (scène 4, p. 535), « Le monstre paraît. » (scène 5, p. 537).
[12] (Quinault, 2016 [1999], p. 538).
[13] Le combat entre le monstre-machine et le héros est un lieu commun de la tragédie lyrique qui trouve évidemment sa source dans la tragédie à machines. Toutefois, c’est précisément ce type de scène qui établit l’opéra français comme rivale de la tragédie régulière et porteuse d’une esthétique du spectaculaire. Comme l’exprime Catherine Kintzler, l’affrontement de Persée contre le monstre marin fait écho au combat d’Hippolyte, lui aussi contre un monstre marin envoyé par Neptune, rapporté par Théramène dans un récit à l’acte v de la Phèdre (1677) de Racine. Le parallèle illustre bien comment les opéras de Quinault Lully sont en quelques sortes les épisodes hors scène des tragédies régulières que l’opéra peut se permettre de représenter. Sur la réponse de Racine à cette esthétique, voir les commentaires de Georges Forestier à propos d’Iphigénie et de Phèdre dans Racine, Œuvres, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1999.
[14] Encore une fois, l’épisode est tiré des Métamorphoses d’Ovide, décrivant la guerre civile qui éclate dans les 200 premiers vers du livre v (2022 [2019], p. 143-149).
[15] Persée, Céphée et leur suite poursuivent Phinée et sa suite (Quinault, 2016 [1999], p. 546).
[16] (Quinault, 2016 [1999], p. 547).
[17] Nous adoptons l’hypothèse qu’il s’agit d’un sacrifice bien que le texte ne permette pas d’en être certain. Quoiqu’il en soit, s’il s’agit réellement d’un sacrifice, on a affaire à une scène tragique racontée par Céphée et, à l’inverse, s’il s’agit d’une mort accidentelle, on a affaire à une scène pathétique où l’amante meurt injustement (Marchand, 2009, p. 325) pour sauver le héros après s’être affranchi de ses crimes.
[18] Dans Cadmus et Hermione (1673), aux scènes 4 et 5 de l’acte iv, un combat éclate entre le héros et son rival, le géant Draco. Des renforts rejoignent le tyran, encerclant Cadmus de toutes parts. La déesse Pallas entre en scène, « assise sur un hibou volant » (Quinault, 2016 [1999], p. 98) et elle « découvre son bouclier et le présente aux yeux des quatre Géants, qui demeurent immobiles, et deviennent dans un instant quatre statues de pierre » (Quinault, 2016 [1999], p. 98).
[19] « Le palais de Vénus descend » (Quinault, 2016 [1999], p. 548). Toutefois, le Mercure galant du 18 avril 1682 note une information contradictoire : « Outre les Entrées qui sont tres belles, rien n’a paru jusqu’icy d’un si grand goust qu’un Arc de Triomphe, & l’entrée d’un Temple, qui fait le fond de la Décoration du cinquiéme Acte. On a crû voir un autre Theatre, ou du moins qu’on l’avait beaucoup élargy. » (Mercure galant, avril 1682, p. 330). Les quelques lignes qui précèdent ce passage du Mercure relèvent que les machines n’étaient pas toutes prêtes pour la représentation. De leur côté, Ken Pierce et Jennifer Thorp prennent bel et bien le parti d’une gloire descendant des cintres (Pierce et Thorp, 2004, par. 3.24). Les chercheurs mentionnent aussi l’existence du dessin représentant le Temple de Vénus par Jean Bérain aux Archives nationales de Paris et font une description du décor : « The design depicts, within a frame of swirling clouds, a palace in front of which Vénus sits enthroned with l’Amour beside her, surrounded by fourteen people ; so unless the drawing takes considerable artistic licence, the gloire was very large. There was high acclaim for “la décoration du 5e acte, due au pinceau du célèbre Bertin [Jean Berain], [qui] fit un immense effet.” Lajarte, 43 » (Pierce et Thorp, 2004, n. 45).
[20] « […] the combat between the followers of Phinée and Persée […] in Act v are likely to have incorporated mime or otherwise to have been heavily “imitative” in style. […] Thus, though it appears from comments by Dubos and Bonnet that “imitative” dance was generally “almost without steps,” we must consider the possibility that this was not always the case, and that the notated steps of an “imitative” dance could sometimes be indistinguishable from those of an “ordinary ” dance » (Pierce et Thorp, 2004, par. 3.5 et 3.23).