Avant-propos
Présentation de la revue
Omilía, communication, lettres et sciences du langage est une nouvelle revue scientifique étudiante attachée à l’Université de Sherbrooke qui publie des travaux d'étudiantes et d'étudiants des cycles supérieurs en communication, en lettres et en sciences du langage. Le titre de la revue est un mot grec qui signifie « discours » en français (Dictionnaire du grec moderne, 1998). Autour de ce mot se tissent des liens évidents entre les trois disciplines représentées. Objet de discours, contenu du discours, médiatisation du discours, variation des discours ne sont que quelques exemples de tant d’avenues possibles pour rendre compte du dialogue entre communication, lettres et sciences du langage. Aujourd’hui, en septembre 2025, le comité éditorial se réjouit de diffuser le premier volume de la revue et de présenter officiellement sa mission.
L’aventure que représente la création d’Omilía débute en septembre 2024, quand Bianca Martin et moi-même, toutes les deux doctorantes en sciences du langage à l’Université de Sherbrooke, avons eu l’idée de fonder une revue scientifique. Face aux difficultés rencontrées par la communauté étudiante dans la publication de premiers articles et animées par notre désir d’en apprendre davantage sur l’édition scientifique, il nous parut évident qu’un tel projet avait sa place au sein de notre université. Ève Legault, étudiante à la maitrise en communication de type recherche, Francesca Caiazzo, doctorante en études littéraires et culturelles, et Solveig Saint-Pierre, étudiante à la maitrise en études littéraires, ont accepté de relever le défi et le comité éditorial a vu le jour en octobre 2024. De longues périodes de travail ont suivi pour construire notre avion en plein vol, car nous avions une année pour mettre en place les processus éditoriaux, créer le site web, assurer le financement et préparer notre première édition.
Avec Omilía, notre objectif est d’offrir une tribune à la relève dans ces trois disciplines pour la diffusion de leurs travaux. D’une part, il est nécessaire de valoriser la production scientifique étudiante en français afin que la mobilisation des connaissances en langue française pendant le parcours académique constitue un véritable moyen d’avancement professionnel. En effet, le rapport publié en 2024 du Comité intersectoriel étudiant (CIE) sur la recherche en français fait état de l’anglicisation croissante de l’écosystème scientifique et la dévalorisation de la mobilisation des connaissances en français, des enjeux qui touchent particulièrement la relève étudiante francophone. Selon le rapport, des actions structurantes sont nécessaires pour rehausser la recherche en français, notamment en soutenant l’accès à la publication et à la création de nouvelles revues francophones. Dans cette lignée, la création d’Omilía montre la volonté et la détermination de la relève à publier en français en libre accès en se frayant un chemin dans l’écosystème de la publication scientifique ouverte et gratuite.
Aussi, l’objectif d’Omilía ne se limite pas à la diffusion, car la revue vise à répondre avant tout aux besoins de la communauté étudiante des cycles supérieurs en plaçant les personnes étudiantes au cœur du processus de publication. Les exigences de performance en matière de publication figurent parmi les premières préoccupations des personnes étudiantes aux cycles supérieurs (Skakni, 2019). À ces exigences s’ajoute une connaissance nébuleuse des processus d’une revue scientifique qui peut rendre plus difficile la publication des premiers articles. Ainsi, la revue vise aussi à accompagner les jeunes chercheurs et chercheuses en devenir à se familiariser avec le processus de rédaction et de publication scientifique. Pour Omilia, les personnes étudiantes participent à toutes les étapes de publication. Elles sont soutenues par des membres du corps professoral de l’Université de Sherbrooke qui valident l’avancée de chaque étape. Concrètement, les articles soumis et retenus par le comité éditorial étudiant font l’objet d’une révision par les pairs à double aveugle réalisée par un expert et un étudiant. Les articles sont ensuite approuvés par le comité consultatif de la revue, composé de trois professeurs des disciplines représentées : Carol-Ann Rouillard, professeure en communication ; Domenico Beneventi, professeur en études littéraires et Gaétane Dostie, professeure en sciences du langage. La revue publie un volume par année et tous ses articles sont diffusés en libre accès sous une licence CC BY 4.0. En alliant une vision collaborative étudiante tout en s’appuyant sur une expertise reconnue, nous avons voulu créer un cadre flexible et inclusif tout en garantissant la qualité scientifique de la revue et des articles publiés.
Enfin, à la parution de ce premier volume, en tant que coordonnatrice de la revue, je suis convaincue que la participation active des étudiants dans l’édition scientifique est un moteur de création, car elle suscite un engagement concret et ouvre des portes insoupçonnées. Pour les autrices et les auteurs, la rédaction des premiers articles dans un parcours académique est une expérience à part entière. Autour d’un tel projet, l’implication des personnes étudiantes dans l’édition brise le sentiment d’isolement et le cloisonnement disciplinaire, consolide leurs connaissances académiques, développe leurs compétences managériales et s’ouvre à la co-construction d’un savoir partagé. C’est pourquoi Omilía est une revue par et pour la relève étudiante.
Présentation du numéro
Ce volume comprend cinq articles. Les trois premiers articles présentent des recherches en communication. Tout d’abord, Véronik Lamoureux s’intéresse à l’engagement relationnel dans les situations d’interaction interdisciplinaire dans le milieu académique. À travers l’étude d’un projet collaboratif, l’autrice analyse les différentes dimensions du dialogue productif. Son analyse montre que l’engagement relationnel est une catégorie présente tout au long de l’interaction, amenant l’idée que c’est un élément transversal du dialogue qui mène à la productivité. Elle souligne également que la prise de distance face à ses propres conceptions disciplinaires apparait comme un élément clé pour l’avancement du dialogue, afin de construire des sensibilités communes et aller au-delà des cloisonnements et fractures disciplinaires, méthodologiques, théoriques. Enfin, cet article met en évidence que l’engagement dans le dialogue n’est pas chose linéaire, mais que plusieurs dynamiques peuvent s’entrecouper dans l’interaction. Le niveau d’engagement peut osciller entre un engagement actif pour avancer dans le dialogue et de moments que l’autrice nomme de désengagement, exprimés par des doutes, des réserves, des réticences.
Ensuite, Blaise Doré-Caillouette traite de la couverture médiatique des relations sino-taïwanaises, un sujet géopolitique d’actualité et complexe des relations internationales entre la Chine, Taïwan et l’implication des États-Unis. L’auteur y porte un regard original en s’intéressant à la perspective d’experts taïwanais sur les médias américains traitant du sujet. Son analyse montre que le cadrage historique, la culture et l’identité taïwanaise, ainsi que les stratégies géopolitiques internationales encadrent l’interprétation taïwanaise du conflit et de la relation interdétroit. La perspective taïwanaise de la couverture américaine révèle, entre autres, la simplification et la dichotomisation du conflit, ainsi que la prédominance des intérêts géopolitiques états-uniens. Par ailleurs, des ponts interdisciplinaires se dessinent dès lors que les dimensions culturelles et identitaires apparaissent comme des éléments d’analyse et de compréhension d’un phénomène ou d’une situation sociale. Par exemple, l’auteur souligne la présence du mianzi, une forme de respect spécifique à la tradition chinoise et taïwanaise, comme un élément culturel important dans la perspective taïwanaise de la relation interdétroit, absent des médias américains. Donner une voix à d’autres perspectives pour compléter le portrait d’une situation complexe, c’est également rencontrer des enjeux de traduction ou de non-traduction, de représentations socioculturelles qui sortent du cadre de référence occidental et de considérations identitaires qui changent de camp.
Enfin, Charlotte Gilson présente une étude des biais médiatiques à travers l’analyse d’entretiens télévisés avec des personnalités de la droite radicale de deux partis politiques (Reconquête et Rassemblement national) sur quatre chaines d’information en continu en France. En examinant les types de questions posées par les journalistes, l’autrice identifie que les deux partis politiques sont appréhendés de manière différente. Il s’avère que les membres de Reconquête sont davantage questionnés sur des aspects personnels, alors que ceux du Rassemblement national sont plus interrogés au sujet d’autres personnalités du parti. Enfin, son analyse met en lumière des biais partisans en faveur de la droite radicale, en particulier pour la chaine CNews. Alors que l’autorité institutionnelle responsable de la régulation du pluralisme (l’ARCOM) occulte les interactions entre journalistes et personnalités invitées, cette étude démontre la pertinence d’intégrer le contenu de ces interactions dans l’évaluation du traitement médiatique du pluralisme. Finalement, lorsqu’il est question de révéler des contradictions, des non-sens ou des valeurs anti-démocratiques, il ressort que la stratégie discursive de la confrontation mise en place par les journalistes ne sert pas nécessairement la cause pourtant bien fondée de l’exactitude et de la vérité. En effet, alors que la volonté des journalistes est de révéler les failles des programmes, cette stratégie démonise et stigmatise les partis de droite radicale. Cette stratégie est inefficace car elle ne renverse pas les prises de positions politiques, mais au contraire, elle renforce l’adhésion à ces partis.
En littérature, Samuel Lamothe propose une immersion dans l’esthétique du spectaculaire de la tragédie lyrique du XVIIème siècle, à travers l’œuvre de Persée du librettiste Quinault et du compositeur Lully (1682). Son analyse porte sur les moyens dramatiques et esthétiques mis en place pour représenter les trois scènes d’affrontements de l’œuvre. Pour mieux comprendre leur complexité technique et esthétique, l’auteur a comparé ces scènes dans le livret de Quinault et Lully (1682) et dans l’adaptation moderne du spectacle d’Hervé Niquet (2004). Son analyse fine du livret vise à comprendre la progression la quête héroïque de Persée et la gradation des dangers. L’auteur montre en quoi la convergence de différents arts créé de l’émerveillement, du divertissement, mais aussi des aspects horrifiques, jusqu’à renverser l’action par le coup de théâtre. Cet article offre une lecture revisitée de l’esthétique du spectaculaire dans la tragédie lyrique, à travers laquelle l’auteur joue en équilibriste entre les codes esthétiques de l’opéra français du XVIIème siècle et les représentations modernes des scènes d’affrontement. Finalement, il montre que les représentations esthétisées du danger, de la violence, de l’horreur, mais aussi de l’épique forment un spectaculaire toujours vivant.
En sciences du langage, Antony Payeur se consacre à l’étude de la relation entre variation topolectale et la production d’erreurs orthographiques entre deux groupes de sujets parlant le français québécois (de Sherbrooke) et le français belge (de Wolkrange). À travers l’analyse d’un questionnaire sur la maitrise de l’orthographe, l’auteur identifie que l’écart de performance entre les deux groupes francophones est dû, entre autres, à l’association phonie-graphie qui diffère selon la prononciation des deux variétés. Au regard des différents types de mots étudiés, l’auteur met en évidence que le plus grand écart de performance se situe au niveau des mots à voyelles basses (/a/ et /ɑ/). Enfin, cet article démontre que la prononciation a un impact sur l’orthographe et rappelle toute la pertinence de l’étude phonologique au regard des performances orthographiques.
Pour conclure cette présentation, la diversité des sujets présentés dans ce volume est à souligner, en cela qu’elle fait émerger le dynamisme de la relève en communication, lettres et sciences du langage. In fine, chaque article présente des réalités sociales, esthétiques et linguistiques complexes qui participent à la compréhension des interactions et des discours de notre société.
Enfin, nous profitons de cette occasion pour remercier les organismes suivants pour leur soutien financier : l’Université de Sherbrooke ; le Regroupement étudiant de maîtrise, diplôme et doctorat de l’Université de Sherbrooke ; l’Association générale des étudiantes et étudiants de maitrise et de doctorat en lettres et communication de l'Université de Sherbrooke et le Fonds d’appui à l’engagement étudiant. Nous soulignons également que la création de la revue et la parution de ce premier numéro n’auraient pas été possible sans le soutien institutionnel et financier de l’Université de Sherbrooke, en particulier le Vice-rectorat à la recherche et aux études supérieurs qui nous a appuyées dès les balbutiements du projet et les services de bibliothèques de l’Université pour leur soutien technique.
Laura Bartert
Coordonnatrice et doctorante en sciences du langage
Université de Sherbrooke (Canada)
Bibliographie
Ομιλία [discours]. (1998). Dans Λεξικό της Νεοελληνικής γλώσσας [Dictionnaire de grec moderne]. https://www.greek-language.gr/greekLang/modern_greek/tools/lexica/triantafyllides/search.html?lq=%CE%BF%CE%BC%CE%B9%CE%BB%CE%AF%CE%B1&dq=
Comité intersectoriel étudiant (2024). Soutenir et rehausser la recherche en langue française : vers une action structurante et concertée, Fonds de recherche du Québec. https://frq.gouv.qc.ca/les-dossiers-du-cie/#francais
Skakni, I. (2019). Devenir chercheur-e : des hauts et des bas de l'expérience doctorale [communication orale]. Enjeux de la relève en recherche : regards pluriels sur la réalité des étudiants-chercheurs, 87e Congrès de l’Acfas, 28 mai 2019, Université du Québec en Outaouais, Gatineau, Québec. https://www.acfas.ca/archives/evenements/congres/activites/46434