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Sciences du langage

Étude de la relation entre la variation phonologique topolectale et la production d’erreurs orthographiques en français

Antony Payeur

Université de Sherbrooke

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Résumé

Dans le cadre de notre mémoire Étude de la relation entre la variation phonologique topolectale et la production d’erreurs orthographiques en français, nous avons fait passer un questionnaire à choix multiples visant à identifier la bonne orthographe d’un mot entendu, à deux groupes de francophones : des Sherbrookois, parlant le français québécois, et des Wolkrangeois, parlant le français belge. L’objectif était de comparer la maîtrise de l’orthographe de ces sujets et d’expliquer l’écart de performance entre les deux groupes. Les répondants sherbrookois ont obtenu un taux de réussite 12,3 % plus élevé que les répondants wolkrangeois. Pour l’analyse, plusieurs facteurs ont été retenus afin d’expliquer cet écart. De ces derniers, l’association phonie-graphie est celui qui est le plus pertinent à notre étude. En effet, ce facteur oppose les deux groupes de sujets, puisqu’il constitue une variation topolectale documentée entre les deux variétés. La performance des répondants au questionnaire démontre que la phonologie peut avantager un groupe, tout comme elle peut le désavantager. Étant donné la prononciation des mots à l’étude dans ce travail peut varier entre les deux groupes, il importe de présenter le système vocalique de la variété belge et de la variété québécoise afin d’établir les associations graphèmes-phonèmes. Ce faisant, il est alors plus facile d’émettre une hypothèse quant aux difficultés en orthographe que peuvent éprouver les participants de notre enquête.


Étude de la relation entre la variation phonologique topolectale et la production d’erreurs orthographiques en français

Antony Payeur (Université de Sherbrooke)[1]

 

1.      Introduction

Primeau disait déjà en 1977 « [qu’un] sujet moyen, motivé moyennement, devra compter quelque douze ans avant de maîtriser moyennement le système orthographique français ». L’orthographe de cette langue demande un effort considérable de la part des scripteurs, étant donné ses règles complexes. Cet article, qui s’appuie par les données récoltées dans le cadre de notre mémoire de maîtrise, cherche à corroborer les hypothèses convergentes de Fayol (2006) et de Manesse et al. (2007), à savoir que l’orthographe française serait l’une des plus difficiles à maîtriser au monde. Compte tenu de la variation topolectale du français, c’est-à-dire l’existence de plusieurs variétés diatopiques réparties sur différents pays, nous en sommes venu à nous demander si les francophones issues de communautés linguistiques différentes maîtrisaient de la même manière l’orthographe. Pour ce faire, nous avons comparé les taux de performance de deux communautés linguistiques, soit des sujets parlant le français québécois (dans la ville de Sherbrooke) et d’autres le français belge (dans le village de Wolkrange). Puisque chaque communauté linguistique possède des particularités de prononciation, dont des systèmes vocaliques différents, nous avons étudié les différences dans la relation entre la phonie et la graphie pour chacune d’entre elles.

Dans la suite de ce texte, nous commencerons par brosser un tableau de l’orthographe française en faisant ressortir notamment ses particularités qui rendent son apprentissage difficile. Nous terminerons en présentant les étapes de réalisation de notre enquête et les résultats sommaires auxquels nous sommes parvenus.

 

2.      Portrait de l’orthographe française

D’abord, qu’entendons-nous par orthographe, au sens large? Il s’agit bien sûr d’une écriture, mais normée, qui pourrait être considérée comme un code. En effet, l’usage de ce code demeure facultatif, puisqu’il est possible de transmettre un message en commettant des fautes. Respecter le code n’a pas nécessairement comme fonction d’être mieux compris de son lecteur. L’orthographe se démarque par le consensus social selon lequel un vocable ne peut généralement se transcrire que d’une seule façon[2]. Ters précise : « [notre] orthographe n’est pas la seule transcription phonologique de la langue ; elle constitue idéo-visuellement un moyen de transcrire une masse de différences […] » (1973, p. 83). On peut alors décider de transgresser les règles sans compromettre l’intercompréhension.

Si l’on s’intéresse plus précisément à l’orthographe française, deux fonctions importantes s’ajoutent au simple fait d’assurer une intercompréhension entre locuteurs. Premièrement, l’orthographe assure une précision du sens, en ce qu’elle désambiguïse les homophones (Legros et Moreau, 2012, p. 13). Le mot vol serait un exemple d’homophone où l’ambiguïté persiste, car sans le contexte, on ne sait s’il s’agit de voler dans les airs ou de voler un objet à autrui. Pour plusieurs mots, il y a une distinction graphique à cause de leur statut homophonique, comme c’est le cas du déterminant du qui se distingue du participe passé  ou des homophones foi, foie et fois. Toutefois, la polysémie et l’homonymie demeurent des concepts omniprésents en français qui peuvent créer de l’homographie, c’est-à-dire que deux vocables s’écrivent de la même façon, comme la forme avocat qui peut renvoyer tout autant au vocable qui désigne la profession qu’à celui qui désigne le fruit. Si, dans ce cas, la prononciation est la même, il est possible d’observer des formes homographes, comme le verbe conjugué affluent et l’adjectif affluent, qui sont homographes sans être homophones. Deuxièmement, Sautot aborde un phénomène rare dont l’orthographe française fait preuve : elle est « un système assurant la transmission de messages écrits, mais [elle constitue] aussi la jauge sociale de ce système » (1990, p. 126). Comme l’explique Elchacar (2022, p. 72), un locuteur qui maîtrise l’orthographe démontre qu’il a acquis un certain lot de connaissances et qu’il est éduqué. En ce sens, Manesse et al. affirment que « sa maîtrise est un signe de distinction […] : une personne qui a une mauvaise orthographe court le risque de n’être pas estimée fiable » (2007, p. 23). Il ne faut pas non plus négliger l’importance du contexte d’écriture, où entre en ligne de compte le niveau de langue ou le registre, qui pourrait justifier le soin que l’on accorde à notre orthographe. Cet aspect est comparable au discours oral, mais il se distingue par le mode de communication qu’utilise le scripteur (lettre manuscrite, travail scolaire, courriel, journal personnel, texto, etc.). « En effet, le scripteur de langue française […] sera à même d’adapter la nature (certains diront la qualité) de leur écriture selon le mode communicationnel exploité » (Liénard, 2004 dans Liénard et Zlitni, 2011, p. 13 ; Les linguistes atterrées, 2023, p. 37). Un texto à un ami ne nécessite pas une orthographe aussi soignée qu’un courriel à un collègue. Nous croyons toutefois que le destinataire peut également amener le scripteur à soigner son orthographe en dépit du mode de communication : un texto envoyé à un supérieur  a plus de probabilités d’être écrit sans faute.

Au-delà de ses fonctions, l’orthographe française se démarque par son niveau d’opacité qui explique en grande partie la difficulté de la maîtriser. Seymour, Aro et Erskine (2003) ont conçu une échelle de transparence pour l’orthographe de quelques langues (voir Figure 1). On remarque, d’un côté, les orthographes opaques (deep) qui sont celles où l’encodage et le décodage sont plus complexes. Pour celles-ci, la transcription n’est possible que par un passage indirect de l’oral vers l’écrit, étant donné que le code de l’écrit est quasiment indépendant de l’oral et autonome (Balpe, 1976 cité dans Jaffré, 1992, p. 33). À l’autre extrémité de l’échelle, les orthographes transparentes (shallow) sont celles qui se rapprochent de la forme orale. Ces orthographes respectent plutôt bien le principe alphabétique idéal, qui veut que l’on associe un seul phonème (plus petite unité linguistique non porteuse de sens) à un seul graphème (lettre ou groupe de lettres) et vice-versa (Fayol et Jaffré, p. 1999), s’opposant diamétralement à une « dysgraphie de surface » telle que l’homophonie. Enfin, l’orthographe transparente permet, d’un côté, la lecture de presque toutes les lettres d’un mot et, de l’autre, l’écriture de toutes les lettres que l’on entend dans sa prononciation. Les connaissances orthographiques sont moins complexes pour les orthographes transparentes, puisque les scripteurs n’ont qu’à maîtriser l’association graphème-phonème dans leur langue.


Figure 1 : Échelle de transparence des langues écrites développée par Seymour et al. (2003, p. 146; droit de reproduction accordé par l’éditeur)

 

Dans cette échelle, l’orthographe de l’espagnol se trouve au second niveau de transparence : elle possède un système qui se rapproche grandement de l’idéal puisqu’elle compte 29 graphèmes pour 25 phonèmes. Ce haut taux de transparence s’explique par de vastes réformes orthographiques qu’a connues la langue (Llamas Pombo 2006: 335). L’orthographe française est cependant beaucoup plus opaque, car elle dispose de près de 130 graphèmes pour la transcription de ses 36 phonèmes (Catach et al., 1995, p. 36 ; Jaffré, Fayol, 2008). Enfin, la langue contenant le ratio le plus élevé est l’anglais, qui totalise 561 graphèmes pour 41 phonèmes (Jaffré et Fayol, 2008, p. 90). L’anglais, le danois et le français ne sont pas des langues pourvues d’un système alphabétique biunivoque, c’est-à-dire qu’elles ne reposent pas sur un système orthographique idéal, où à un même phonème peuvent correspondre plusieurs graphèmes, et inversement.

Dans l’orthographe française, on constate ce problème notamment avec le graphème <t> qui peut se prononcer de plus d’une façon : audition [odisjɔ̃] (comme un /s/) et réticent [retisɑ̃] (comme un /t/). Dans l’autre sens, le phonème [ɑ̃] peut se transcrire de plusieurs façons : dans, dent, mens, etc. Il importe de préciser que, malgré cette disparité entre l’oral et l’écrit, l’orthographe française demeure phonographique : « l’exploitation des correspondances entre graphèmes et phonèmes est une étape obligée de l’acquisition de la lecture dans un système alphabétique » (Chevrot, 1996, p. 7). En effet, lors de l’apprentissage de l’orthographe, le premier des trois stades définis par Frith (1985) consiste en l’acquisition de la conversion phonie-graphie. Il est nécessaire de maîtriser ce concept de conversion pour déceler une certaine régularité dans l’orthographe, en considérant qu’il est impossible de connaître l’entièreté du vocabulaire de la langue (Manesse et al., 2007, p. 34) et de son orthographe lexicale. Il ne s’agit là que du premier stade de maîtrise de l’orthographe, car d’après Véronis (1988), le seul recours aux règles de conversion phonème-graphème ne permettrait d’écrire aujourd’hui qu’environ 50 % des mots français avec la bonne orthographe.

Ce constat nous amène à mentionner que les lettres muettes présentes dans l’écriture des mots sont en grande partie la cause du manque de régularité de l’orthographe française. En effet, dans un vaste corpus analysé par l’équipe HESO (Histoire et Structure de l’Orthographe), 12,47 % des graphèmes analysés sont des lettres muettes. L’équipe de Catach (1978, p. 65) a procédé à l’analyse de cinq textes nettement différents (comptabilisant 16 347 graphèmes) dans le but de cibler les conditions de formation de l’orthographe française. Ces chiffres montrent la difficulté d’apprendre l’orthographe française, d’autant plus que les lettres muettes se retrouvent à la fois dans l’orthographe grammaticale et dans l’orthographe lexicale. La première correspond, par exemple, à la marque du pluriel (les mains, ils mangent) et la marque du féminin (une bonne amie, la pomme mangée). La deuxième concerne l’orthographe des mots à proprement parler, comme la présence de doubles consonnes (occasionnel, enveloppe) et de lettres finales (débris, corps). Elles ne sont pas apparues par hasard : certaines sont des marques étymologiques – bien que quelques-unes soient erronées – et d’autres servent à délimiter un champ lexical. À titre d’exemple, il y a bien longtemps, la lettre finale du mot monsieur a déjà été prononcée, mais son orthographe n’a pas suivi l’oral. Dans un même sens, on parle de « marquage étymologique » (Legros et Moreau, 2012, p. 13), lorsque l’on écrit, par exemple, compter avec un <p> muet, pour rappeler l’étymologie latine computare. Enfin, « [l’apparentement] lexical » (Legros et Moreau, 2012, p. 14) justifie que dent s’écrive avec la lettre <t> puisque l’on écrit dentier, dentiste et dentaire.

L’objectif de l’orthographe étant surtout de rendre possible la lecture, pour transmettre le message, la difficulté peut donc concerner autant l’écriture que la lecture. Selon Jaffré et Fayol (2008, p. 115), la correspondance phonème-graphème (l’écriture) est plus basse, soit de 71 %, que la correspondance graphème-phonème (la lecture), qui est de 96 %. Perfetti précise que « la plupart des individus sont capables de lire des mots qu’ils ne peuvent orthographier » (1997, p. 45) . Malgré une opinion répandue, beaucoup lire ne suffit pas pour maîtriser l’orthographe (Perfetti, 1997, p. 47), alors que bien apprendre à orthographier peut être suffisant pour savoir lire.

Cette affirmation mérite que l’on aborde sommairement les différentes techniques d’apprentissage de l’orthographe. Le Tableau 1 en dresse les grandes lignes.

 


Tableau 1 : Sommaire des deux sphères d’apprentissage de l’orthographe lexicale (Hazard, 2009, p. 14-17)

 

D’une part, l’apprentissage implicite, qui débute dès les premières années de l’apprentissage de l’orthographe, permettra plus tard de ne pas avoir systématiquement recours à un ouvrage lexicographique, puisque l’individu développe ses connaissances orthographiques. Ainsi, le scripteur mémorisera, au cours de ses années d’écriture, certains chunks (segments de parole) ainsi que les combinaisons possibles selon la position de la syllabe dans le mot. Plusieurs chercheurs estiment que seule l’exposition des mots ayant une orthographe régulière permettrait son apprentissage, lorsque les règles ne sont pas explicitement enseignées (Deacon, Conrad, et Pacton, 2008 ; Ellis, 2002 ; Fayol et Jaffré, 2008 ; Gombert, 2009 ; Pacton, 2008, cité dans Hazard, 2009, p. 14). Par exemple, le scripteur apprendra qu’il est pratiquement impossible de trouver un mot débutant par une double consonne. L’analogie morphologique entre les mots est un autre apprentissage implicite. Le modèle de Gombert, Bryant et Warrick (1997) (présenté dans Hazard, 2009, p. 11) place en son centre le concept « [d’analogies] entre régularités orthographiques et phonologiques ». Le scripteur qui connaît la terminaison du mot partie pourrait l’appliquer à d’autres mots comme scie ou pluie en remarquant que ce sont tous des mots féminins.

D’autre part, il existe beaucoup d’irrégularités lexicales. Par exemple, le phonème /i/ à la position finale d’un mot n’a pas toujours comme graphie <ie>. Le scripteur doit apprendre que l’on écrit souris (sans même le graphème <e>) et fouillis, bien qu’ils soient tous deux au singulier. La lettre finale muette est donc une irrégularité. Comment se développent ces connaissances ? L’apprentissage explicite, que l’on retrouve majoritairement sous forme d’enseignement d’un tiers, sert entre autres à consolider le principe de conversion graphème-phonème. De plus, l’enseignement permet aux locuteurs de rencontrer des formes orthographiques lexicales irrégulières moins courantes, ce qui augmente leurs connaissances de l’orthographe lexicale. Par ailleurs, la notion d’erreurs ne peut certainement pas être écartée du processus d’apprentissage. Jaffré (1992, p. 47) abonde dans ce sens en parlant de « bonnes fautes », que n’importe quel scripteur peut commettre, étant donné les irrégularités de l’orthographe. Il est normal de commettre des erreurs en cours d’apprentissage. La correction faite par un enseignant permet au scripteur de réaliser un apprentissage explicite. Enfin, il faut nuancer en précisant que le scripteur n’aura pas toujours besoin d’enseignements, puisqu’une fois le niveau avancé atteint, c’est-à-dire lorsque plusieurs orthographes à morphologies irrégulières sont rencontrées, il pourra apprendre l’orthographe de certains mots par lui-même. Il aura développé les connaissances orthographiques lui procurant une certaine autonomie. Jaffré (1992) donne l’exemple du mot amphitryon qui est bien orthographié par une infime partie de scripteurs avancés. C’est la consonance scientifique du mot qui indique à quelques personnes que la morphologie est particulière. Par exemple, le phonème /f/ est représenté par le graphème <ph> et non <f> et le second /i/ est représenté par <y>. La discipline associée au mot, qui réfère ici à la terminologie scientifique, peut être considérée comme une connaissance lexicale pour le scripteur. Ce ne sont pas tous les scripteurs qui détiennent cette connaissance ou qui l’utilisent à bon escient.

Somme toute, ces chiffres confirment ce qu’affirme Delamotte-Legrand (2006, p. 90) à propos de l’orthographe : « [cette dernière] semble de même constituer un phénomène de société qui relève à la fois d’une suite d’événements langagiers (évolution) et d’une archéologie de l’écriture (permanence) ». Comme mentionné précédemment, l’orthographe d’une langue devrait servir de support à l’oral et ainsi être pratiquement biunivoque. Malgré le niveau de difficulté élevé que cela peut occasionner, il serait faux de prétendre que les jeunes d’aujourd’hui n’écrivent plus, eux qui ont maintenant une « machine à écrire portative » (Fairon, Klein et Paumier, 2006, p. 1) dotée de multiples applications lexicographiques pour améliorer l’orthographe. Ce genre d’appareil ne peut qu’être bénéfique, puisqu’il existe « un nombre extrêmement important de mots dont l’orthographe dépend de l’utilisation des connaissances orthographiques spécifiques » (Moutsy et Alegria 1996, p. 165). Ce nombre de connaissances orthographiques est vouée à augmenter, étant donné l’écart qui continue de se creuser entre l’oral de la langue française et son orthographe.

Ce nombre important de connaissances orthographiques nécessaires pourrait en décourager plus d’un. L’état actuel de l’orthographe peut alimenter l’idée selon laquelle les jeunes sont incompétents en orthographe. Pourtant, Delamotte-Legrand désacralise les erreurs d’orthographe : le relâchement et la hausse du nombre de fautes représentent « deux termes négatifs qu’un sociolinguiste pourrait interpréter positivement comme effets, d’une part de la “tolérance” et, d’autre part, de l’“usage”, le tout dans une prise en compte de la diversification et de l’évolution des pratiques » (2006, p. 90). Autrement dit, ce genre de comportement pourrait apporter un changement, puisque la langue, tout comme l’orthographe, doit continuer d’évoluer pour demeurer vivante.

 

3.      Pertinence de notre enquête et choix méthodologiques

En réfléchissant aux règles complexes de l’orthographe française et à l’impact de la phonologie sur leur maîtrise par les jeunes, nous en sommes venu à nous demander si ces enjeux étaient vécus et ressentis de la même manière à travers la francophonie. En faisant le bilan des nombreuses études portant sur l’orthographe française des dernières décennies, nous remarquons que l’impact de la phonologie sur la maîtrise de l’orthographe française est un sujet qui n’a pratiquement jamais été étudié, contrairement aux travaux portant sur ce phénomène en anglais (Treiman et al., 1997). Comme les particularités phonologiques des variétés qui permettent la distinction entre les communautés linguistiques de la francophonie sont bien documentées, une étude comparant la maîtrise de l’orthographe dans deux variétés nous paraît pertinente. Notre projet a donc pris la forme d’une enquête par questionnaire visant à comparer la maîtrise écrite chez des jeunes francophones issus de deux communautés linguistiques distinctes et éloignées : une première maîtrisant le français québécois et une seconde maîtrisant le français belge.

 

Bien que notre enquête se concentre plutôt sur le français parlé en Belgique, il est important d’indiquer, comme le soulignent Hambye & Simon (2009, p. 96), que « [de] façon générale, le français a suivi en Belgique la même évolution historique que dans le nord de la France ». On remarque alors certains changements phonologiques se sont produits en France, mais pas nécessairement au Québec. La neutralisation de certaines voyelles (Hansen et Juillard, 2011, p. 313) en est un exemple. La distinction entre deux phonèmes peut s’observer par la présence de paires minimales, c’est-à-dire une paire de mots qui sont très proches morphologiquement, mais qui se distinguent par la substitution d’un seul phonème (Pothier, 2011, p. 28). Or, dans certaines variétés du français comme le français parisien, l’opposition entre deux voyelles n’est plus réalisée par les locuteurs. À ce titre, la distinction entre /a/ et /ɑ/ ne s’est pas maintenue dans la variété parisienne, où seule la prononciation neutralisée [a] est employée indistinctement dans la paire minimale rappes et râpes. En revanche, au Québec, cette distinction de la prononciation persiste tant par la position de la langue, comme le [a] antérieur de rappes et le [ɑ] postérieur de râpes, que par la longueur vocalique. Considérant l’évolution historique, il est possible de postuler qu’un changement similaire s’est produit dans le français belge.

 

Ce genre de différence est, par ailleurs, documenté dans la littérature scientifique. Ainsi, les Figures 2 et 3 qui présentent les systèmes vocaliques de ces deux variétés illustrent qu’il existe notamment des différences dans les voyelles. C’est le cas pour l’opposition entre les voyelles /a/ et /ɑ/ qui est en cours de neutralisation dans la variété belge, contrairement au français québécois. De plus, la voyelle /œ̃/ est notée entre parenthèses dans le trapèze vocalique belge, puisque selon certaines études, elle est encore présente pour une majorité de locuteurs, mais pas pour la totalité (Hambye et Simon, 2009, p. 103). Cela étant dit, ce n’est pas parce que la voyelle est disponible dans les deux systèmes vocaliques des locuteurs qu’elle est associée au même graphème dans les deux variétés. Certains mots sont prononcés différemment.

 


Figure 2 : Trapèze vocalique du français québécois (Côté, 2016 p. 272)


Figure 3 : Trapèze vocalique du français belge (Hambye et Simon, 2009, p. 101-108)

 

4.      Notre enquête

Ainsi, l’objectif de notre enquête est de vérifier, d’abord, si l’orthographe est maîtrisée différemment d’une communauté linguistique à une autre, et, ensuite, si la phonologie constitue l’un des facteurs qui expliquerait cette différence. Plus spécifiquement, nous tentons d’établir dans quelle mesure la présence d’une opposition phonologique (par exemple l’opposition entre /œ/ et /ø/ dans jeune /ʒœn/ vs jeûne /ʒøn/) permet aux scripteurs de mieux respecter la norme orthographique en optant pour le graphème qui y est associé (en l’occurrence <eu> et <eû>). Nous nous attendons donc à ce que, toutes choses étant égales par ailleurs, les scripteurs commettent davantage d’erreurs orthographiques lorsqu’une opposition est absente de leur système (par exemple, jeune et jeûne, les deux mots étant prononcés [ʒœn] en français européen) que lorsqu’elle est présente. Nous nous intéressons notamment, mais pas exclusivement, au cas des mots qui incluent un signe diacritique dans le but d’observer si l’emploi de l’accent circonflexe pourrait être plus intuitif pour les scripteurs du français québécois, eux qui ont l’opposition phonique dans leur variété de français. La paire minimale pâte et patte, qui constitue des homophones dans la variété de français européen, est un exemple parmi tant d’autres. La tâche sera probablement plus ardue si les sujets ne peuvent pas se fier à la prononciation, et donc uniquement au contexte de la phrase, pour en déterminer la graphie. La mobilisation d’autres connaissances orthographiques sera nécessaire pour respecter la norme orthographique. Nous émettons l’hypothèse que l’existence d’une opposition phonologique permet de mieux acquérir la graphie de mots qui sont autrement homophones lorsque cette opposition est neutralisée.

Pour réaliser cette recherche, nous avons fait passer un test d’orthographe à deux groupes de francophones se distinguant par la variété de français qu’ils parlent. Le déroulement de ce questionnaire a été inspiré de la recherche de Treiman et Barry (2000), qui concerne uniquement la langue anglaise. À partir d’un phénomène propre à la langue, quelques mots ont été sélectionnés et divisés par type, ce qui a été reproduit pour notre enquête. À partir du phénomène de la neutralisation de certaines voyelles, une liste de 27 mots cibles ainsi que de 13 mots distracteurs a été créée et divisée en cinq types. Le type 1 ne contient que des mots avec les voyelles ouvertes /a/ ou /ɑ/, afin de mettre en opposition les émissions vocaliques antérieure /a/ et postérieure /ɑ/ à la neutralisation totale, soit l’émission d’un seul timbre /a/. Les deuxième, troisième et quatrième types concernent les mots contenant une voyelle moyenne. Le type 2 oppose les émissions vocaliques de la voyelle mi-ouverte /ɔ/ et mi-fermée /o/, en opposition à une émission unique pour tous les contextes, soit /ɔ/, opposition qui est en cours de neutralisation. Le type 3, quant à lui, met en opposition les voyelles /ɛ/ et /e/, alors que le type 4 concerne cette même voyelle graphique (<e>), mais dont les paires minimales sont prononcées à l’aide des mêmes phonèmes, donc avec la caractéristique de ne présenter aucune opposition. Enfin, le dernier type met en opposition des voyelles nasales, comme les voyelles /ɑ̃/ et /ɔ̃/ ainsi que /ɛ̃/ et /œ̃/. Ces phonèmes ne sont pas distingués dans toutes les variétés. 

Les répondants proviennent de la ville cible ou de la ville voisine. Ils sont âgés entre 11 et 13 ans. Les quarante et un répondants sherbrookois sont en première secondaire (équivalant à la cinquième, deuxième année au collège dans le système européen), alors que les vingt répondants wolkrangeois sont en sixième année du primaire. Pour participer à l’enquête, leur tâche est simple : ils doivent procéder mot par mot. D’abord, ils entendent la prononciation du mot d’après la variété du français à laquelle ils appartiennent (préalablement enregistrée par un représentant de la variété qui ne participera pas au questionnaire). Ensuite, ils attribuent une cote au mot entendu, en utilisant une échelle de 1 à 7, afin d’indiquer leur niveau de connaissance du mot et, par le fait même, la fréquence lexicale subjective. Le chiffre 7 signifie qu’ils le considèrent totalement familier et qu’ils le connaissent très bien et l’utilisent à une certaine fréquence. Le chiffre 4 signifie que les répondants connaissent le mot, mais pas son sens, et le chiffre 1 signifie qu’ils ne connaissent pas du tout ce mot. Il est également possible de choisir une cote plus centralisée, comme 5, qui se situe entre les cotes 4 et 6, si les sujets connaissent bien le mot, mais ne l’utilisent pas souvent et vice-versa. Avant de passer au mot suivant, ils doivent choisir l’orthographe qu’ils croient être la bonne parmi trois choix de réponse proposés, sans recours à un outil lexicographique. Ces étapes sont à recommencer dans le même ordre pour les mots suivants. À la fin du questionnaire, deux questions d’ordre scolaire sont posées concernant l’orthographe. L’une d’elles consiste à identifier le niveau de maîtrise de l’orthographe sur une échelle de Likert (entre très grande et très faible).

De prime abord, notre corpus est constitué de 1647 occurrences de mots cibles, c’est-à-dire excluant les mots distracteurs. Le Tableau 2 présente les résultats divisés en deux colonnes. Pour chaque variété, la première colonne correspond au nombre d’occurrences où chaque occurrence a été considérée comme étant « correcte » si la réponse était conforme à la norme orthographique et comme « incorrecte » dans le cas contraire. La seconde colonne, quant à elle, contient le pourcentage des donnés afin de comparer aisément le taux de production d’erreurs orthographiques dans chaque groupe.  Les données calculées en pourcentage sont pertinentes, étant donné la taille de chaque groupe (correspondant à la ligne total) qui est plutôt disparate. On remarque que les répondants sherbrookois ont un taux de bonnes réponses supérieur aux répondants wolkrangeois, avec 12,3 % d’écart.

 

Tableau 2 : Résultats généraux de la maîtrise de l’orthographe des participants

 

Quelques facteurs ont été analysés pour tenter d’expliquer les erreurs. Nous présenterons les facteurs significatifs, soit ceux qui sont corrélés à la bonne orthographe d’un mot. Nous ne détaillerons pas l’analyse en ce qui a trait au genre des participants et à la fréquence objective des mots cibles, ces facteurs n’entrainant pas de résultats significatifs.

Premièrement, rappelons que les mots cibles ont été divisés par types de voyelles (qu’elles soient basses, hautes ou nasales) afin de créer les paires minimales. La Figure 4 montre les taux de réussite des mots cibles classés par type de voyelles. Chaque communauté linguistique maîtrise les types de voyelles à différents niveaux. De façon générale, les participants sherbrookois ont un résultat plus élevé, à l’exception du type 4 (les voyelles moyennes dont les mots sont considérés comme homophones). On pourrait tout de même considérer les taux de réussite de ce type ex aequo pour chaque groupe étant donné le petit écart (2 %). La figure nous permet également de remarquer que l’écart est légèrement plus important pour le type 1 (les voyelles basses /a/ et /ɑ/), avec un écart de 18 %. L’écart entre les deux groupes pour le type 5 (voyelles nasales) est notable quoique léger. Somme toute, le type 1 semble être celui où l’écart est plus marqué et pour lequel les répondants wolkrangeois ont moins bien performé.


Figure 4 : Répartition des bonnes réponses pour chaque mot cible d’après le type de voyelle et la communauté linguistique d’appartenance

 

Deuxièmement, comme les répondants ont attribué une cote de fréquence lexicale (niveau de familiarité) pour chaque mot qu’ils ont entendu, il nous a été possible de déterminer un seuil selon lequel un mot est considéré comme fréquent ou comme non fréquent par les sujets. En effet, nous avons calculé la médiane des 1647 occurrences. Ainsi, un mot ayant une cote égale ou supérieure à 6 est considéré comme fréquent par un sujet, c’est-à-dire que ce dernier l’utilise plutôt souvent et connaît bien son sens. Au contraire, s’il lui attribue une cote inférieure à 6, cela signifie qu’il le considère comme non fréquent dans son vocabulaire. Nous avons corrélé le taux de réussite de l’orthographe des mots en fonction de la fréquence lexicale subjective. La Figure 5 montre que 63 % des mots bien orthographiés étaient considérés comme fréquents par les répondants. Quant au 37 % restant, ce sont des mots réussis considérés comme moins fréquents, voire pas fréquents. Il nous semble évident que le facteur de la fréquence lexicale subjective a un impact sur la maîtrise de l’orthographe des participants.



Figure 5 : Répartition des bonnes réponses pour chaque mot cible d’après la fonction de la fréquence lexicale subjective des mots cibles pour toutes communautés linguistiques confondues

 

Ainsi, dans une perspective plus générale, deux catégories de mots réussis s’opposent. D’un côté, il est question de la totalité des mots bien orthographiés et, de l’autre, il ne s’agit que des mots réussis considérés comme fréquents. Il est intéressant de comparer, pour chaque groupe, les taux de ces deux catégories. La Figure 6 montre que la différence entre les deux catégories des mots réussis est presque la même d’un groupe à l’autre, soit de 7 % pour les participants sherbrookois et de 8 % pour les participants wolkrangeois. Cela nous permet de conclure que la fréquence lexicale a le même effet sur les deux groupes concernant la maîtrise de l’orthographe. Il ne peut donc pas s’agir du seul facteur qui explique la réussite des participants dans notre corpus. Dans le cas contraire, les résultats généraux de performance auraient dû être similaires pour les deux groupes.


Figure 6 : Comparaison des mots réussis par les participants d’après la fréquence lexicale et le groupe d’appartenance

 

Troisièmement, à la fin du questionnaire, les répondants doivent s’autoévaluer en situant leur maîtrise de l’orthographe sur une échelle de Likert, en choisissant la cote correspondant à leur niveau. Ensuite, ces cotes sont rapportées en chiffres pour faciliter les calculs. Le chiffre 0 représente inadéquate et le chiffre 5 représente très bonne. Les répondants sherbrookois ont une moyenne de 3/5, ce qui représente plutôt bonne. Les deux extrémités de l’échelle sont très peu choisies, puisqu’aucun participant sherbrookois n’a indiqué considérer son orthographe inadéquate, alors qu’un seul l’a considérée comme très bonne. Du côté des répondants wolkrangeois, la moyenne est également plutôt bonne, mais avec une moyenne de 3,15/5, qui est légèrement plus élevée que celle des répondants sherbrookois. De plus, les extrémités sont également peu choisies, puisqu’un seul participant wolkrangeois considère que sa maîtrise de l’orthographe est inadéquate et un autre très bonne. Pourtant, comme cela a été présenté précédemment, la moyenne de réussite orthographique des répondants sherbrookois est plus élevée de 12,3 % que celle des participants wolkrangeois. Ces derniers se perçoivent donc presque équivalents aux participants sherbrookois. Deux figures (une par groupe de sujets) serviront à mettre en relation l’autoévaluation du sujet concernant sa maîtrise de l’orthographe et sa réelle maîtrise de l’orthographe. La Figure 7 montre les résultats concernant les participants sherbrookois alors que la Figure 8 concerne les répondants wolkrangeois. Sur l’axe des abscisses, nous retrouvons les cotes d’autoévaluation échelonnée de 0 à 5, alors que l’axe des ordonnées présente les résultats réels de ces participants.

 


Figure 7 : Résultat des participants sherbrookois en fonction de leur autoévaluation en orthographe
Figure 7 : Résultat des participants sherbrookois en fonction de leur autoévaluation en orthographe


Figure 8 : Résultat des participants wolkrangeois en fonction de leur autoévaluation en orthographe
Figure 8 : Résultat des participants wolkrangeois en fonction de leur autoévaluation en orthographe

 

Il est intéressant de noter que le seul participant à avoir obtenu la note de 100 % (toutes communautés linguistiques confondues) ne considérait sa maîtrise de l’orthographe que bonne, alors que celui qui considérait sa maîtrise de l’orthographe très bonne a un résultat inférieur au précédent, soit de 85 %. Le participant avec la plus basse note (toutes communautés linguistiques confondues) considère sa maîtrise de l’orthographe moins bonne, et a obtenu 50 %. Il a donc vu juste. Dans les deux cas, il est possible de remarquer une corrélation significative entre la perception qu’a le participant de sa maîtrise de l’orthographe et sa réelle maîtrise de l’orthographe.

 

            Quatrièmement, la phonologie de la variété du français à laquelle appartiennent les participants est mise en relation avec le taux de bonnes réponses du groupe. Toutefois, on ne peut négliger l’apport de la fréquence lexicale subjective du mot, puisque les répondants auront moins tendance à convertir la phonie en graphie s’ils sont familiers avec le mot et qu’ils l’écrivent souvent. Autrement dit, comme mentionné précédemment, une bonne orthographe d’un mot peut s’expliquer autant par la fréquence lexicale subjective que par la phonologie de la variété du français qui avantage le répondant pour l’orthographe. Abordons d’abord la voyelle basse, dont tous les mots sont regroupés dans le type 1. On remarque que le phonème /ɑ/ n’est pas toujours retranscrit à l’aide du signe diacritique <â>. Par exemple, le mot paille se prononce [pɑj] en français québécois, tout comme le mot vase, qui se prononce [vɑz]. Les sujets auraient pu ajouter un signe diacritique, dans le but de respecter la phonologie. Pour les sujets wolkrangeois, la plupart d’entre eux ne tiennent compte que du phonème /a/ présente dans leur système vocalique, ce qui fait qu’ils prononcent ces mots [paj] et [vaz]. Cela pourrait justifier l’absence d’un signe diacritique. De plus, un mot retranscrit avec le graphème <â>, donc à l’aide d’un signe diacritique, n’est pas toujours associé au phonème /ɑ/. Les mots câlin et gâchette se prononcent [kalɛ̃] et [gaʃɛt] pour les deux variétés du français étudiées dans cette recherche. Comme la norme exige parfois le signe diacritique, on peut dire que les deux groupes sont également désavantagés dans ces cas, puisqu’on ne prononce pas les mots comme ils s’écrivent.

En ce qui se rapporte aux mots cibles analysés dans le cadre de notre enquête, on retrouve le mot bâille, qui a été correctement orthographié par 63 % des participants sherbrookois, mais par seulement 25 % des participants wolkrangeois. Notons que la médiane de la cote de fréquence est de 6 pour les deux groupes, ce qui signifie que le mot est considéré comme fréquent pour la majorité des participants. Ensuite, la prononciation n’est pas la même d’un groupe à l’autre. Du côté des participants sherbrookois, ils prononcent ce mot [bɑj], avec la voyelle postérieure, alors que les participants wolkrangeois prononcent [baj], avec la voyelle antérieure. Pour ces derniers, il pourrait être moins évident de penser au signe diacritique. De plus, 70 % des répondants wolkrangeois ont choisi l’orthographe baille, contre 34 % pour les répondants sherbrookois qui ont opté pour cette graphie. On pourrait donc penser que, pour ce cas, l’orthographe est soutenue par la phonologie.

Un autre mot fort intéressant est le verbe râpes. La fréquence lexicale de ce mot est la même pour les deux variétés : les participants considèrent majoritairement ce mot comme fréquent. Du côté de la prononciation, les locuteurs sherbrookois emploient la voyelle basse postérieure /ɑ/, alors que les participants wolkrangeois emploient plutôt la voyelle basse antérieure /a/. Les choix de réponse en témoignent : 60 % des répondants wolkrangeois ont opté pour la graphie rappes, alors que seulement 17 % des participants sherbrookois ont fait de même. Une fois de plus, la phonologie semble expliquer l’écart des résultats des deux groupes, soit de 45 % (80 % contre 35 %).

Le mot gâchette, quant à lui, n’a bien été orthographié par aucun participant wolkrangeois. Les participants sherbrookois sont toutefois près de la moitié à l’avoir bien orthographié. Ce mot est majoritairement considéré comme non fréquent par les deux groupes. Comme il se prononce /gaʃɛt/, et non pas à l’aide du /ɑ/ postérieur en français québécois, il n’est pas surprenant que les participants omettent en très forte majorité le signe diacritique. Il est difficile toutefois d’expliquer pourquoi 41 % des répondants sherbrookois ont tout de même pensé à inclure le signe diacritique. Nous émettons l’hypothèse qu’ils ont fait l’association avec le mot gâcher, qui lui, se prononce avec le /a/ postérieur. Ce dernier est sans doute considéré comme fréquent en français québécois.

Enfin, les mots taille et scène sont plutôt particuliers, car, pour deux rares fois, les répondants sherbrookois sont désavantagés par la phonologie. D’abord, pour le premier mot, ces sujets le prononcent avec une voyelle postérieure, bien que le signe diacritique ne soit pas requis. Du côté des participants wolkrangeois, la phonologie est neutralisée, comme c’est le cas pour tous les mots de ce type. Ainsi, ils prononcent le mot comme il s’écrit. Les résultats montrent que les répondants sherbrookois ont obtenu 90 % contre 100% pour les répondants wolkrangeois. La cote de fréquence lexicale est à son maximum pour les deux groupes, soit de 7. Cela signifie que c’est un mot considéré comme très fréquent, mais les sujets sherbrookois n’ont pas tous réussi à bien l’orthographier. Parmi les choix de réponses, la graphie tâille a été choisie par 10 % des répondants sherbrookois, ce qui n’est pas curieux, si on le compare à bâille, par exemple. Concernant le deuxième mot, les sujets sherbrookois distinguent, à l’aide de l’allongement vocalique, les deux mots de la paire minimale [sɛ: n] pour scène et [sɛn] pour saine. Étant donné que le graphème <è> est associé au phonème /ɛ/, les sujets sherbrookois pourraient être tentés d’écrire ce mot avec un accent circonflexe, comme le suggèrent les résultats : 20 % de ceux-ci ont choisi le graphème *scêne (qu’ils ont peut-être associé au mot même), alors qu’il n’y en a aucun du côté des répondants wolkrangeois. Cela explique peut-être pourquoi 78 % des répondants sherbrookois ont bien orthographié le mot, contre 90 % du côté des répondants wolkrangeois. Le mot est considéré comme fréquent pour les deux groupes, d’autant plus que la médiane est plus élevée pour les répondants sherbrookois.

En ce qui trait à la voyelle moyenne, c’est-à-dire les mots regroupés dans le type 2, il s’agit de la voyelle moyenne où le phonème /o/ s’oppose à /ɔ/. L’association est plutôt simple pour les répondants sherbrookois : le signe diacritique se traduit toujours par un /o/ postérieur. Là où cela peut poser un problème, c’est dans un cas opposé, c’est-à-dire lorsqu’il y a d’autres graphèmes qui s’associent à ce même phonème. Par exemple, selon Catach (1980 : 95), les graphèmes <o> comme dans rose, <au> comme dans fraude et <eau> comme dans sceau, sont également associés au phonème /o/. Il est donc difficile d’acquérir toute régularité, puisque cela peut sembler aléatoire. Dans d’autres contextes, par exemple, le phonème /ɔ/ se transcrit également avec le graphème <o>, comme dans pomme, ce qui montre le manque de biunivocité. La difficulté pour les répondants est donc d’entendre le phonème /o/ et de choisir entre la graphie avec le signe diacritique <ô> et celle qui ne l’a pas, soit <o>. À ce niveau, on peut dire que les répondants sherbrookois ont eu un peu plus de facilité, bien que ce ne soit pas très marquant. Le mot côte est un bon exemple, car ils l’ont bien orthographié à 93 % contre 75 % pour les répondants wolkrangeois. Dans les deux variétés, ce mot est majoritairement considéré comme fréquent. Il y a des mots, comme saute, pôle et hôte, qui sont très bien réussis (entre 80 et 100 %) et dont l’écart est très mince. Pour les deux groupes, les deux premiers mots sont considérés comme fréquents et le dernier ne l’est pas. Pourtant, ce dernier (hôte) est réussi à 80 % et à 85 %. Enfin, le mot le moins bien réussi chez les deux groupes, vôtre, est pourtant considéré comme fréquent par tous les répondants. Du côté des répondants sherbrookois, ils l’ont bien orthographié à 34 % et à 20 % du côté des répondants wolkrangeois. Parmi les choix de réponse, *vautre a été sélectionné par deux sujets sherbrookois, mais aucun participant wolkrangeois. Comme l’écart n’est que de 14 %, ce n’est pas suffisant pour conclure quoi que ce soit. Ce cas particulier demande à être prudent : les connaissances syntaxiques pourraient être impliquées. Les sujets pourraient avoir confondu le pronom vôtre avec le déterminant votre et ne pas tenir compte de la différente prononciation peu marquée.

L’analyse des autres types de voyelle, c’est-à-dire les types 3, 4 et 5, n’a pas amené de résultats concluants pour qu’elle soit reproduite dans cet article.

Somme toute, la corrélation entre l’emploi du signe diacritique et la voyelle postérieure issue du système vocalique du français québécois est tout à fait pertinente. Pour les rares fois où les participants sherbrookois sont désavantagés ou sans indice phonologique majeur pour bien orthographier le mot, nous remarquons une différence de performance, puisque les répondants wolkrangeois ont mieux orthographié les mots taille et scène.

 

5.      Conclusion

            Pour conclure, nous avons tenté d’expliquer les écarts de performance en orthographe entre les francophones belges (Wolkrangeois) et québécois (Sherbrooke). En outre, comme la fréquence lexicale subjective et l’autoévaluation sont des facteurs impactant significativement, mais sensiblement équitablement, tous les répondants, nous concluons que la phonologie explique en grande partie l’écart de performance. En effet, la plus grande disparité se situe au niveau des mots du type 1 (voyelles basses), pour lequel il existe le phénomène de neutralisation des voyelles. Nos résultats confirment les résultats des études s’intéressant à l’orthographe anglaise : la prononciation a un impact sur l’orthographe. Moins il y a de voyelles disponibles dans le système vocalique des locuteurs, plus il y aura d’homophones. Cela leur suscite plus de difficultés à distinguer les mots sémantiquement, ce qui explique le nombre d’erreurs. Nous sommes d’avis que ce projet connaît plusieurs limites, comme le faible échantillon et la grande quantité de facteurs entourant l’orthographe. Ce sujet devrait être davantage étudié pour valider ces résultats. Ces études devront par ailleurs inclure la technologie, qui a un impact important sur l’usage de l’écriture. Souvent dotés d’un appareil électronique, les locuteurs ne consultent plus de dictionnaires et échangent entre eux plus rapidement et plus souvent grâce aux messageries instantanées.

6.      Bibliographie

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[1] ORCID : 0009-0007-5220-2463

[2] Bien que la majorité des vocables ne puisse être orthographiée que d’une seule manière selon la norme, il existe des contre-exemples (comme tzar/tsar, paie/paye, clef/clé et cuiller/cuillère). De ces doublets orthographiques, certaines graphies semblent se maintenir dans le temps, alors que d’autres tendent à disparaitre de l’usage.Étude de la relation entre la variation phonologique topolectale et la production d’erreurs orthographiques en français

 

Résumé

Dans le cadre de notre mémoire Étude de la relation entre la variation phonologique topolectale et la production d’erreurs orthographiques en français, nous avons fait passer un questionnaire à choix multiples visant à identifier la bonne orthographe d’un mot entendu, à deux groupes de francophones : des Sherbrookois, parlant le français québécois, et des Wolkrangeois, parlant le français belge. L’objectif était de comparer la maîtrise de l’orthographe de ces sujets et d’expliquer l’écart de performance entre les deux groupes. Les répondants sherbrookois ont obtenu un taux de réussite 12,3 % plus élevé que les répondants wolkrangeois. Pour l’analyse, plusieurs facteurs ont été retenus afin d’expliquer cet écart. De ces derniers, l’association phonie-graphie est celui qui est le plus pertinent à notre étude. En effet, ce facteur oppose les deux groupes de sujets, puisqu’il constitue une variation topolectale documentée entre les deux variétés. La performance des répondants au questionnaire démontre que la phonologie peut avantager un groupe, tout comme elle peut le désavantager. Étant donné la prononciation des mots à l’étude dans ce travail peut varier entre les deux groupes, il importe de présenter le système vocalique de la variété belge et de la variété québécoise afin d’établir les associations graphèmes-phonèmes. Ce faisant, il est alors plus facile d’émettre une hypothèse quant aux difficultés en orthographe que peuvent éprouver les participants de notre enquête.

 

Mots-clés

orthographe transparente et opaque, relation phonie-graphie, français belge, français québécois, phonographie, consistance de l’orthographe, connaissances orthographiques.

 

Étude de la relation entre la variation phonologique topolectale et la production d’erreurs orthographiques en français

Antony Payeur (Université de Sherbrooke)[1]

 

1.      Introduction

Primeau disait déjà en 1977 « [qu’un] sujet moyen, motivé moyennement, devra compter quelque douze ans avant de maîtriser moyennement le système orthographique français ». L’orthographe de cette langue demande un effort considérable de la part des scripteurs, étant donné ses règles complexes. Cet article, qui s’appuie par les données récoltées dans le cadre de notre mémoire de maîtrise, cherche à corroborer les hypothèses convergentes de Fayol (2006) et de Manesse et al. (2007), à savoir que l’orthographe française serait l’une des plus difficiles à maîtriser au monde. Compte tenu de la variation topolectale du français, c’est-à-dire l’existence de plusieurs variétés diatopiques réparties sur différents pays, nous en sommes venu à nous demander si les francophones issues de communautés linguistiques différentes maîtrisaient de la même manière l’orthographe. Pour ce faire, nous avons comparé les taux de performance de deux communautés linguistiques, soit des sujets parlant le français québécois (dans la ville de Sherbrooke) et d’autres le français belge (dans le village de Wolkrange). Puisque chaque communauté linguistique possède des particularités de prononciation, dont des systèmes vocaliques différents, nous avons étudié les différences dans la relation entre la phonie et la graphie pour chacune d’entre elles.

Dans la suite de ce texte, nous commencerons par brosser un tableau de l’orthographe française en faisant ressortir notamment ses particularités qui rendent son apprentissage difficile. Nous terminerons en présentant les étapes de réalisation de notre enquête et les résultats sommaires auxquels nous sommes parvenus.

 

2.      Portrait de l’orthographe française

D’abord, qu’entendons-nous par orthographe, au sens large? Il s’agit bien sûr d’une écriture, mais normée, qui pourrait être considérée comme un code. En effet, l’usage de ce code demeure facultatif, puisqu’il est possible de transmettre un message en commettant des fautes. Respecter le code n’a pas nécessairement comme fonction d’être mieux compris de son lecteur. L’orthographe se démarque par le consensus social selon lequel un vocable ne peut généralement se transcrire que d’une seule façon[2]. Ters précise : « [notre] orthographe n’est pas la seule transcription phonologique de la langue ; elle constitue idéo-visuellement un moyen de transcrire une masse de différences […] » (1973, p. 83). On peut alors décider de transgresser les règles sans compromettre l’intercompréhension.

Si l’on s’intéresse plus précisément à l’orthographe française, deux fonctions importantes s’ajoutent au simple fait d’assurer une intercompréhension entre locuteurs. Premièrement, l’orthographe assure une précision du sens, en ce qu’elle désambiguïse les homophones (Legros et Moreau, 2012, p. 13). Le mot vol serait un exemple d’homophone où l’ambiguïté persiste, car sans le contexte, on ne sait s’il s’agit de voler dans les airs ou de voler un objet à autrui. Pour plusieurs mots, il y a une distinction graphique à cause de leur statut homophonique, comme c’est le cas du déterminant du qui se distingue du participe passé  ou des homophones foi, foie et fois. Toutefois, la polysémie et l’homonymie demeurent des concepts omniprésents en français qui peuvent créer de l’homographie, c’est-à-dire que deux vocables s’écrivent de la même façon, comme la forme avocat qui peut renvoyer tout autant au vocable qui désigne la profession qu’à celui qui désigne le fruit. Si, dans ce cas, la prononciation est la même, il est possible d’observer des formes homographes, comme le verbe conjugué affluent et l’adjectif affluent, qui sont homographes sans être homophones. Deuxièmement, Sautot aborde un phénomène rare dont l’orthographe française fait preuve : elle est « un système assurant la transmission de messages écrits, mais [elle constitue] aussi la jauge sociale de ce système » (1990, p. 126). Comme l’explique Elchacar (2022, p. 72), un locuteur qui maîtrise l’orthographe démontre qu’il a acquis un certain lot de connaissances et qu’il est éduqué. En ce sens, Manesse et al. affirment que « sa maîtrise est un signe de distinction […] : une personne qui a une mauvaise orthographe court le risque de n’être pas estimée fiable » (2007, p. 23). Il ne faut pas non plus négliger l’importance du contexte d’écriture, où entre en ligne de compte le niveau de langue ou le registre, qui pourrait justifier le soin que l’on accorde à notre orthographe. Cet aspect est comparable au discours oral, mais il se distingue par le mode de communication qu’utilise le scripteur (lettre manuscrite, travail scolaire, courriel, journal personnel, texto, etc.). « En effet, le scripteur de langue française […] sera à même d’adapter la nature (certains diront la qualité) de leur écriture selon le mode communicationnel exploité » (Liénard, 2004 dans Liénard et Zlitni, 2011, p. 13 ; Les linguistes atterrées, 2023, p. 37). Un texto à un ami ne nécessite pas une orthographe aussi soignée qu’un courriel à un collègue. Nous croyons toutefois que le destinataire peut également amener le scripteur à soigner son orthographe en dépit du mode de communication : un texto envoyé à un supérieur  a plus de probabilités d’être écrit sans faute.

Au-delà de ses fonctions, l’orthographe française se démarque par son niveau d’opacité qui explique en grande partie la difficulté de la maîtriser. Seymour, Aro et Erskine (2003) ont conçu une échelle de transparence pour l’orthographe de quelques langues (voir Figure 1). On remarque, d’un côté, les orthographes opaques (deep) qui sont celles où l’encodage et le décodage sont plus complexes. Pour celles-ci, la transcription n’est possible que par un passage indirect de l’oral vers l’écrit, étant donné que le code de l’écrit est quasiment indépendant de l’oral et autonome (Balpe, 1976 cité dans Jaffré, 1992, p. 33). À l’autre extrémité de l’échelle, les orthographes transparentes (shallow) sont celles qui se rapprochent de la forme orale. Ces orthographes respectent plutôt bien le principe alphabétique idéal, qui veut que l’on associe un seul phonème (plus petite unité linguistique non porteuse de sens) à un seul graphème (lettre ou groupe de lettres) et vice-versa (Fayol et Jaffré, p. 1999), s’opposant diamétralement à une « dysgraphie de surface » telle que l’homophonie. Enfin, l’orthographe transparente permet, d’un côté, la lecture de presque toutes les lettres d’un mot et, de l’autre, l’écriture de toutes les lettres que l’on entend dans sa prononciation. Les connaissances orthographiques sont moins complexes pour les orthographes transparentes, puisque les scripteurs n’ont qu’à maîtriser l’association graphème-phonème dans leur langue.


Figure 1 : Échelle de transparence des langues écrites développée par Seymour et al. (2003, p. 146; droit de reproduction accordé par l’éditeur)

 

Dans cette échelle, l’orthographe de l’espagnol se trouve au second niveau de transparence : elle possède un système qui se rapproche grandement de l’idéal puisqu’elle compte 29 graphèmes pour 25 phonèmes. Ce haut taux de transparence s’explique par de vastes réformes orthographiques qu’a connues la langue (Llamas Pombo 2006: 335). L’orthographe française est cependant beaucoup plus opaque, car elle dispose de près de 130 graphèmes pour la transcription de ses 36 phonèmes (Catach et al., 1995, p. 36 ; Jaffré, Fayol, 2008). Enfin, la langue contenant le ratio le plus élevé est l’anglais, qui totalise 561 graphèmes pour 41 phonèmes (Jaffré et Fayol, 2008, p. 90). L’anglais, le danois et le français ne sont pas des langues pourvues d’un système alphabétique biunivoque, c’est-à-dire qu’elles ne reposent pas sur un système orthographique idéal, où à un même phonème peuvent correspondre plusieurs graphèmes, et inversement.

Dans l’orthographe française, on constate ce problème notamment avec le graphème <t> qui peut se prononcer de plus d’une façon : audition [odisjɔ̃] (comme un /s/) et réticent [retisɑ̃] (comme un /t/). Dans l’autre sens, le phonème [ɑ̃] peut se transcrire de plusieurs façons : dans, dent, mens, etc. Il importe de préciser que, malgré cette disparité entre l’oral et l’écrit, l’orthographe française demeure phonographique : « l’exploitation des correspondances entre graphèmes et phonèmes est une étape obligée de l’acquisition de la lecture dans un système alphabétique » (Chevrot, 1996, p. 7). En effet, lors de l’apprentissage de l’orthographe, le premier des trois stades définis par Frith (1985) consiste en l’acquisition de la conversion phonie-graphie. Il est nécessaire de maîtriser ce concept de conversion pour déceler une certaine régularité dans l’orthographe, en considérant qu’il est impossible de connaître l’entièreté du vocabulaire de la langue (Manesse et al., 2007, p. 34) et de son orthographe lexicale. Il ne s’agit là que du premier stade de maîtrise de l’orthographe, car d’après Véronis (1988), le seul recours aux règles de conversion phonème-graphème ne permettrait d’écrire aujourd’hui qu’environ 50 % des mots français avec la bonne orthographe.

Ce constat nous amène à mentionner que les lettres muettes présentes dans l’écriture des mots sont en grande partie la cause du manque de régularité de l’orthographe française. En effet, dans un vaste corpus analysé par l’équipe HESO (Histoire et Structure de l’Orthographe), 12,47 % des graphèmes analysés sont des lettres muettes. L’équipe de Catach (1978, p. 65) a procédé à l’analyse de cinq textes nettement différents (comptabilisant 16 347 graphèmes) dans le but de cibler les conditions de formation de l’orthographe française. Ces chiffres montrent la difficulté d’apprendre l’orthographe française, d’autant plus que les lettres muettes se retrouvent à la fois dans l’orthographe grammaticale et dans l’orthographe lexicale. La première correspond, par exemple, à la marque du pluriel (les mains, ils mangent) et la marque du féminin (une bonne amie, la pomme mangée). La deuxième concerne l’orthographe des mots à proprement parler, comme la présence de doubles consonnes (occasionnel, enveloppe) et de lettres finales (débris, corps). Elles ne sont pas apparues par hasard : certaines sont des marques étymologiques – bien que quelques-unes soient erronées – et d’autres servent à délimiter un champ lexical. À titre d’exemple, il y a bien longtemps, la lettre finale du mot monsieur a déjà été prononcée, mais son orthographe n’a pas suivi l’oral. Dans un même sens, on parle de « marquage étymologique » (Legros et Moreau, 2012, p. 13), lorsque l’on écrit, par exemple, compter avec un <p> muet, pour rappeler l’étymologie latine computare. Enfin, « [l’apparentement] lexical » (Legros et Moreau, 2012, p. 14) justifie que dent s’écrive avec la lettre <t> puisque l’on écrit dentier, dentiste et dentaire.

L’objectif de l’orthographe étant surtout de rendre possible la lecture, pour transmettre le message, la difficulté peut donc concerner autant l’écriture que la lecture. Selon Jaffré et Fayol (2008, p. 115), la correspondance phonème-graphème (l’écriture) est plus basse, soit de 71 %, que la correspondance graphème-phonème (la lecture), qui est de 96 %. Perfetti précise que « la plupart des individus sont capables de lire des mots qu’ils ne peuvent orthographier » (1997, p. 45) . Malgré une opinion répandue, beaucoup lire ne suffit pas pour maîtriser l’orthographe (Perfetti, 1997, p. 47), alors que bien apprendre à orthographier peut être suffisant pour savoir lire.

Cette affirmation mérite que l’on aborde sommairement les différentes techniques d’apprentissage de l’orthographe. Le Tableau 1 en dresse les grandes lignes.

 

Apprentissage implicite

Apprentissage explicite (enseignement)

Au contact de l’écrit, mémorisation spontanée des régularités de la distribution de certains mots

Règle de conversion phonème-graphème

Mémorisation inconsciente de parties de mots utilisées par analogie avec une controverse sur la taille des chunks mémorisés

Accès aux représentations orthographiques propres aux mots avec morphologie irrégulière (lettres muettes, doubles consonnes, homophones, etc.)

Utilisation, par analogie, d’une procédure connue pour traiter une situation inconnue

 

 

Tableau 1 : Sommaire des deux sphères d’apprentissage de l’orthographe lexicale (Hazard, 2009, p. 14-17)

 

D’une part, l’apprentissage implicite, qui débute dès les premières années de l’apprentissage de l’orthographe, permettra plus tard de ne pas avoir systématiquement recours à un ouvrage lexicographique, puisque l’individu développe ses connaissances orthographiques. Ainsi, le scripteur mémorisera, au cours de ses années d’écriture, certains chunks (segments de parole) ainsi que les combinaisons possibles selon la position de la syllabe dans le mot. Plusieurs chercheurs estiment que seule l’exposition des mots ayant une orthographe régulière permettrait son apprentissage, lorsque les règles ne sont pas explicitement enseignées (Deacon, Conrad, et Pacton, 2008 ; Ellis, 2002 ; Fayol et Jaffré, 2008 ; Gombert, 2009 ; Pacton, 2008, cité dans Hazard, 2009, p. 14). Par exemple, le scripteur apprendra qu’il est pratiquement impossible de trouver un mot débutant par une double consonne. L’analogie morphologique entre les mots est un autre apprentissage implicite. Le modèle de Gombert, Bryant et Warrick (1997) (présenté dans Hazard, 2009, p. 11) place en son centre le concept « [d’analogies] entre régularités orthographiques et phonologiques ». Le scripteur qui connaît la terminaison du mot partie pourrait l’appliquer à d’autres mots comme scie ou pluie en remarquant que ce sont tous des mots féminins.

D’autre part, il existe beaucoup d’irrégularités lexicales. Par exemple, le phonème /i/ à la position finale d’un mot n’a pas toujours comme graphie <ie>. Le scripteur doit apprendre que l’on écrit souris (sans même le graphème <e>) et fouillis, bien qu’ils soient tous deux au singulier. La lettre finale muette est donc une irrégularité. Comment se développent ces connaissances ? L’apprentissage explicite, que l’on retrouve majoritairement sous forme d’enseignement d’un tiers, sert entre autres à consolider le principe de conversion graphème-phonème. De plus, l’enseignement permet aux locuteurs de rencontrer des formes orthographiques lexicales irrégulières moins courantes, ce qui augmente leurs connaissances de l’orthographe lexicale. Par ailleurs, la notion d’erreurs ne peut certainement pas être écartée du processus d’apprentissage. Jaffré (1992, p. 47) abonde dans ce sens en parlant de « bonnes fautes », que n’importe quel scripteur peut commettre, étant donné les irrégularités de l’orthographe. Il est normal de commettre des erreurs en cours d’apprentissage. La correction faite par un enseignant permet au scripteur de réaliser un apprentissage explicite. Enfin, il faut nuancer en précisant que le scripteur n’aura pas toujours besoin d’enseignements, puisqu’une fois le niveau avancé atteint, c’est-à-dire lorsque plusieurs orthographes à morphologies irrégulières sont rencontrées, il pourra apprendre l’orthographe de certains mots par lui-même. Il aura développé les connaissances orthographiques lui procurant une certaine autonomie. Jaffré (1992) donne l’exemple du mot amphitryon qui est bien orthographié par une infime partie de scripteurs avancés. C’est la consonance scientifique du mot qui indique à quelques personnes que la morphologie est particulière. Par exemple, le phonème /f/ est représenté par le graphème <ph> et non <f> et le second /i/ est représenté par <y>. La discipline associée au mot, qui réfère ici à la terminologie scientifique, peut être considérée comme une connaissance lexicale pour le scripteur. Ce ne sont pas tous les scripteurs qui détiennent cette connaissance ou qui l’utilisent à bon escient.

Somme toute, ces chiffres confirment ce qu’affirme Delamotte-Legrand (2006, p. 90) à propos de l’orthographe : « [cette dernière] semble de même constituer un phénomène de société qui relève à la fois d’une suite d’événements langagiers (évolution) et d’une archéologie de l’écriture (permanence) ». Comme mentionné précédemment, l’orthographe d’une langue devrait servir de support à l’oral et ainsi être pratiquement biunivoque. Malgré le niveau de difficulté élevé que cela peut occasionner, il serait faux de prétendre que les jeunes d’aujourd’hui n’écrivent plus, eux qui ont maintenant une « machine à écrire portative » (Fairon, Klein et Paumier, 2006, p. 1) dotée de multiples applications lexicographiques pour améliorer l’orthographe. Ce genre d’appareil ne peut qu’être bénéfique, puisqu’il existe « un nombre extrêmement important de mots dont l’orthographe dépend de l’utilisation des connaissances orthographiques spécifiques » (Moutsy et Alegria 1996, p. 165). Ce nombre de connaissances orthographiques est vouée à augmenter, étant donné l’écart qui continue de se creuser entre l’oral de la langue française et son orthographe.

Ce nombre important de connaissances orthographiques nécessaires pourrait en décourager plus d’un. L’état actuel de l’orthographe peut alimenter l’idée selon laquelle les jeunes sont incompétents en orthographe. Pourtant, Delamotte-Legrand désacralise les erreurs d’orthographe : le relâchement et la hausse du nombre de fautes représentent « deux termes négatifs qu’un sociolinguiste pourrait interpréter positivement comme effets, d’une part de la “tolérance” et, d’autre part, de l’“usage”, le tout dans une prise en compte de la diversification et de l’évolution des pratiques » (2006, p. 90). Autrement dit, ce genre de comportement pourrait apporter un changement, puisque la langue, tout comme l’orthographe, doit continuer d’évoluer pour demeurer vivante.

 

3.      Pertinence de notre enquête et choix méthodologiques

En réfléchissant aux règles complexes de l’orthographe française et à l’impact de la phonologie sur leur maîtrise par les jeunes, nous en sommes venu à nous demander si ces enjeux étaient vécus et ressentis de la même manière à travers la francophonie. En faisant le bilan des nombreuses études portant sur l’orthographe française des dernières décennies, nous remarquons que l’impact de la phonologie sur la maîtrise de l’orthographe française est un sujet qui n’a pratiquement jamais été étudié, contrairement aux travaux portant sur ce phénomène en anglais (Treiman et al., 1997). Comme les particularités phonologiques des variétés qui permettent la distinction entre les communautés linguistiques de la francophonie sont bien documentées, une étude comparant la maîtrise de l’orthographe dans deux variétés nous paraît pertinente. Notre projet a donc pris la forme d’une enquête par questionnaire visant à comparer la maîtrise écrite chez des jeunes francophones issus de deux communautés linguistiques distinctes et éloignées : une première maîtrisant le français québécois et une seconde maîtrisant le français belge.

 

Bien que notre enquête se concentre plutôt sur le français parlé en Belgique, il est important d’indiquer, comme le soulignent Hambye & Simon (2009, p. 96), que « [de] façon générale, le français a suivi en Belgique la même évolution historique que dans le nord de la France ». On remarque alors certains changements phonologiques se sont produits en France, mais pas nécessairement au Québec. La neutralisation de certaines voyelles (Hansen et Juillard, 2011, p. 313) en est un exemple. La distinction entre deux phonèmes peut s’observer par la présence de paires minimales, c’est-à-dire une paire de mots qui sont très proches morphologiquement, mais qui se distinguent par la substitution d’un seul phonème (Pothier, 2011, p. 28). Or, dans certaines variétés du français comme le français parisien, l’opposition entre deux voyelles n’est plus réalisée par les locuteurs. À ce titre, la distinction entre /a/ et /ɑ/ ne s’est pas maintenue dans la variété parisienne, où seule la prononciation neutralisée [a] est employée indistinctement dans la paire minimale rappes et râpes. En revanche, au Québec, cette distinction de la prononciation persiste tant par la position de la langue, comme le [a] antérieur de rappes et le [ɑ] postérieur de râpes, que par la longueur vocalique. Considérant l’évolution historique, il est possible de postuler qu’un changement similaire s’est produit dans le français belge.

 

Ce genre de différence est, par ailleurs, documenté dans la littérature scientifique. Ainsi, les Figures 2 et 3 qui présentent les systèmes vocaliques de ces deux variétés illustrent qu’il existe notamment des différences dans les voyelles. C’est le cas pour l’opposition entre les voyelles /a/ et /ɑ/ qui est en cours de neutralisation dans la variété belge, contrairement au français québécois. De plus, la voyelle /œ̃/ est notée entre parenthèses dans le trapèze vocalique belge, puisque selon certaines études, elle est encore présente pour une majorité de locuteurs, mais pas pour la totalité (Hambye et Simon, 2009, p. 103). Cela étant dit, ce n’est pas parce que la voyelle est disponible dans les deux systèmes vocaliques des locuteurs qu’elle est associée au même graphème dans les deux variétés. Certains mots sont prononcés différemment.

 

 

Antérieure non arrondie

Antérieure arrondie

Postérieure




Fermée

i

y

U




Mi-fermée

E


ø

O



Mi-ouverte

ɛ

Œ

œ̃

ɔ

ɔ̃


 

ɜ

 

 




Ouverte

a

 

ɑ̃

ɑ










Figure 2 : Trapèze vocalique du français québécois (Côté, 2016 p. 272)

 

 

Antérieure non arrondie

Antérieure arrondie

Postérieure




Fermée

i

y

U




Mi-fermée

e

ø

O




Mi-ouverte

ɛ (ɛ :)

ɛ̃

œ

(œ̃)

ɔ

ɔ̃

Ouverte

a

 

(ɑ :)

ɑ̃










Figure 3 : Trapèze vocalique du français belge (Hambye et Simon, 2009, p. 101-108)

 

4.      Notre enquête

Ainsi, l’objectif de notre enquête est de vérifier, d’abord, si l’orthographe est maîtrisée différemment d’une communauté linguistique à une autre, et, ensuite, si la phonologie constitue l’un des facteurs qui expliquerait cette différence. Plus spécifiquement, nous tentons d’établir dans quelle mesure la présence d’une opposition phonologique (par exemple l’opposition entre /œ/ et /ø/ dans jeune /ʒœn/ vs jeûne /ʒøn/) permet aux scripteurs de mieux respecter la norme orthographique en optant pour le graphème qui y est associé (en l’occurrence <eu> et <eû>). Nous nous attendons donc à ce que, toutes choses étant égales par ailleurs, les scripteurs commettent davantage d’erreurs orthographiques lorsqu’une opposition est absente de leur système (par exemple, jeune et jeûne, les deux mots étant prononcés [ʒœn] en français européen) que lorsqu’elle est présente. Nous nous intéressons notamment, mais pas exclusivement, au cas des mots qui incluent un signe diacritique dans le but d’observer si l’emploi de l’accent circonflexe pourrait être plus intuitif pour les scripteurs du français québécois, eux qui ont l’opposition phonique dans leur variété de français. La paire minimale pâte et patte, qui constitue des homophones dans la variété de français européen, est un exemple parmi tant d’autres. La tâche sera probablement plus ardue si les sujets ne peuvent pas se fier à la prononciation, et donc uniquement au contexte de la phrase, pour en déterminer la graphie. La mobilisation d’autres connaissances orthographiques sera nécessaire pour respecter la norme orthographique. Nous émettons l’hypothèse que l’existence d’une opposition phonologique permet de mieux acquérir la graphie de mots qui sont autrement homophones lorsque cette opposition est neutralisée.

Pour réaliser cette recherche, nous avons fait passer un test d’orthographe à deux groupes de francophones se distinguant par la variété de français qu’ils parlent. Le déroulement de ce questionnaire a été inspiré de la recherche de Treiman et Barry (2000), qui concerne uniquement la langue anglaise. À partir d’un phénomène propre à la langue, quelques mots ont été sélectionnés et divisés par type, ce qui a été reproduit pour notre enquête. À partir du phénomène de la neutralisation de certaines voyelles, une liste de 27 mots cibles ainsi que de 13 mots distracteurs a été créée et divisée en cinq types. Le type 1 ne contient que des mots avec les voyelles ouvertes /a/ ou /ɑ/, afin de mettre en opposition les émissions vocaliques antérieure /a/ et postérieure /ɑ/ à la neutralisation totale, soit l’émission d’un seul timbre /a/. Les deuxième, troisième et quatrième types concernent les mots contenant une voyelle moyenne. Le type 2 oppose les émissions vocaliques de la voyelle mi-ouverte /ɔ/ et mi-fermée /o/, en opposition à une émission unique pour tous les contextes, soit /ɔ/, opposition qui est en cours de neutralisation. Le type 3, quant à lui, met en opposition les voyelles /ɛ/ et /e/, alors que le type 4 concerne cette même voyelle graphique (<e>), mais dont les paires minimales sont prononcées à l’aide des mêmes phonèmes, donc avec la caractéristique de ne présenter aucune opposition. Enfin, le dernier type met en opposition des voyelles nasales, comme les voyelles /ɑ̃/ et /ɔ̃/ ainsi que /ɛ̃/ et /œ̃/. Ces phonèmes ne sont pas distingués dans toutes les variétés. 

Les répondants proviennent de la ville cible ou de la ville voisine. Ils sont âgés entre 11 et 13 ans. Les quarante et un répondants sherbrookois sont en première secondaire (équivalant à la cinquième, deuxième année au collège dans le système européen), alors que les vingt répondants wolkrangeois sont en sixième année du primaire. Pour participer à l’enquête, leur tâche est simple : ils doivent procéder mot par mot. D’abord, ils entendent la prononciation du mot d’après la variété du français à laquelle ils appartiennent (préalablement enregistrée par un représentant de la variété qui ne participera pas au questionnaire). Ensuite, ils attribuent une cote au mot entendu, en utilisant une échelle de 1 à 7, afin d’indiquer leur niveau de connaissance du mot et, par le fait même, la fréquence lexicale subjective. Le chiffre 7 signifie qu’ils le considèrent totalement familier et qu’ils le connaissent très bien et l’utilisent à une certaine fréquence. Le chiffre 4 signifie que les répondants connaissent le mot, mais pas son sens, et le chiffre 1 signifie qu’ils ne connaissent pas du tout ce mot. Il est également possible de choisir une cote plus centralisée, comme 5, qui se situe entre les cotes 4 et 6, si les sujets connaissent bien le mot, mais ne l’utilisent pas souvent et vice-versa. Avant de passer au mot suivant, ils doivent choisir l’orthographe qu’ils croient être la bonne parmi trois choix de réponse proposés, sans recours à un outil lexicographique. Ces étapes sont à recommencer dans le même ordre pour les mots suivants. À la fin du questionnaire, deux questions d’ordre scolaire sont posées concernant l’orthographe. L’une d’elles consiste à identifier le niveau de maîtrise de l’orthographe sur une échelle de Likert (entre très grande et très faible).

De prime abord, notre corpus est constitué de 1647 occurrences de mots cibles, c’est-à-dire excluant les mots distracteurs. Le Tableau 2 présente les résultats divisés en deux colonnes. Pour chaque variété, la première colonne correspond au nombre d’occurrences où chaque occurrence a été considérée comme étant « correcte » si la réponse était conforme à la norme orthographique et comme « incorrecte » dans le cas contraire. La seconde colonne, quant à elle, contient le pourcentage des donnés afin de comparer aisément le taux de production d’erreurs orthographiques dans chaque groupe.  Les données calculées en pourcentage sont pertinentes, étant donné la taille de chaque groupe (correspondant à la ligne total) qui est plutôt disparate. On remarque que les répondants sherbrookois ont un taux de bonnes réponses supérieur aux répondants wolkrangeois, avec 12,3 % d’écart.

 

 

Sherbrooke

Wolkrange




Réponses

Pourcentage

Réponses

Pourcentage

Bonnes réponses

911

82,3 %

378

70 %

Mauvaises réponses

196

17,7 %

162

30 %

Total

1107

100 %

540

100 %

Tableau 2 : Résultats généraux de la maîtrise de l’orthographe des participants

 

Quelques facteurs ont été analysés pour tenter d’expliquer les erreurs. Nous présenterons les facteurs significatifs, soit ceux qui sont corrélés à la bonne orthographe d’un mot. Nous ne détaillerons pas l’analyse en ce qui a trait au genre des participants et à la fréquence objective des mots cibles, ces facteurs n’entrainant pas de résultats significatifs.

Premièrement, rappelons que les mots cibles ont été divisés par types de voyelles (qu’elles soient basses, hautes ou nasales) afin de créer les paires minimales. La Figure 4 montre les taux de réussite des mots cibles classés par type de voyelles. Chaque communauté linguistique maîtrise les types de voyelles à différents niveaux. De façon générale, les participants sherbrookois ont un résultat plus élevé, à l’exception du type 4 (les voyelles moyennes dont les mots sont considérés comme homophones). On pourrait tout de même considérer les taux de réussite de ce type ex aequo pour chaque groupe étant donné le petit écart (2 %). La figure nous permet également de remarquer que l’écart est légèrement plus important pour le type 1 (les voyelles basses /a/ et /ɑ/), avec un écart de 18 %. L’écart entre les deux groupes pour le type 5 (voyelles nasales) est notable quoique léger. Somme toute, le type 1 semble être celui où l’écart est plus marqué et pour lequel les répondants wolkrangeois ont moins bien performé.


Figure 4 : Répartition des bonnes réponses pour chaque mot cible d’après le type de voyelle et la communauté linguistique d’appartenance

 

Deuxièmement, comme les répondants ont attribué une cote de fréquence lexicale (niveau de familiarité) pour chaque mot qu’ils ont entendu, il nous a été possible de déterminer un seuil selon lequel un mot est considéré comme fréquent ou comme non fréquent par les sujets. En effet, nous avons calculé la médiane des 1647 occurrences. Ainsi, un mot ayant une cote égale ou supérieure à 6 est considéré comme fréquent par un sujet, c’est-à-dire que ce dernier l’utilise plutôt souvent et connaît bien son sens. Au contraire, s’il lui attribue une cote inférieure à 6, cela signifie qu’il le considère comme non fréquent dans son vocabulaire. Nous avons corrélé le taux de réussite de l’orthographe des mots en fonction de la fréquence lexicale subjective. La Figure 5 montre que 63 % des mots bien orthographiés étaient considérés comme fréquents par les répondants. Quant au 37 % restant, ce sont des mots réussis considérés comme moins fréquents, voire pas fréquents. Il nous semble évident que le facteur de la fréquence lexicale subjective a un impact sur la maîtrise de l’orthographe des participants.


Figure 5 : Répartition des bonnes réponses pour chaque mot cible d’après la fonction de la fréquence lexicale subjective des mots cibles pour toutes communautés linguistiques confondues

 

Ainsi, dans une perspective plus générale, deux catégories de mots réussis s’opposent. D’un côté, il est question de la totalité des mots bien orthographiés et, de l’autre, il ne s’agit que des mots réussis considérés comme fréquents. Il est intéressant de comparer, pour chaque groupe, les taux de ces deux catégories. La Figure 6 montre que la différence entre les deux catégories des mots réussis est presque la même d’un groupe à l’autre, soit de 7 % pour les participants sherbrookois et de 8 % pour les participants wolkrangeois. Cela nous permet de conclure que la fréquence lexicale a le même effet sur les deux groupes concernant la maîtrise de l’orthographe. Il ne peut donc pas s’agir du seul facteur qui explique la réussite des participants dans notre corpus. Dans le cas contraire, les résultats généraux de performance auraient dû être similaires pour les deux groupes.


Figure 6 : Comparaison des mots réussis par les participants d’après la fréquence lexicale et le groupe d’appartenance

 

Troisièmement, à la fin du questionnaire, les répondants doivent s’autoévaluer en situant leur maîtrise de l’orthographe sur une échelle de Likert, en choisissant la cote correspondant à leur niveau. Ensuite, ces cotes sont rapportées en chiffres pour faciliter les calculs. Le chiffre 0 représente inadéquate et le chiffre 5 représente très bonne. Les répondants sherbrookois ont une moyenne de 3/5, ce qui représente plutôt bonne. Les deux extrémités de l’échelle sont très peu choisies, puisqu’aucun participant sherbrookois n’a indiqué considérer son orthographe inadéquate, alors qu’un seul l’a considérée comme très bonne. Du côté des répondants wolkrangeois, la moyenne est également plutôt bonne, mais avec une moyenne de 3,15/5, qui est légèrement plus élevée que celle des répondants sherbrookois. De plus, les extrémités sont également peu choisies, puisqu’un seul participant wolkrangeois considère que sa maîtrise de l’orthographe est inadéquate et un autre très bonne. Pourtant, comme cela a été présenté précédemment, la moyenne de réussite orthographique des répondants sherbrookois est plus élevée de 12,3 % que celle des participants wolkrangeois. Ces derniers se perçoivent donc presque équivalents aux participants sherbrookois. Deux figures (une par groupe de sujets) serviront à mettre en relation l’autoévaluation du sujet concernant sa maîtrise de l’orthographe et sa réelle maîtrise de l’orthographe. La Figure 7 montre les résultats concernant les participants sherbrookois alors que la Figure 8 concerne les répondants wolkrangeois. Sur l’axe des abscisses, nous retrouvons les cotes d’autoévaluation échelonnée de 0 à 5, alors que l’axe des ordonnées présente les résultats réels de ces participants.


Figure 7 : Résultat des participants sherbrookois en fonction de leur autoévaluation en orthographe

 


Figure 8 : Résultat des participants wolkrangeois en fonction de leur autoévaluation en orthographe

 

Il est intéressant de noter que le seul participant à avoir obtenu la note de 100 % (toutes communautés linguistiques confondues) ne considérait sa maîtrise de l’orthographe que bonne, alors que celui qui considérait sa maîtrise de l’orthographe très bonne a un résultat inférieur au précédent, soit de 85 %. Le participant avec la plus basse note (toutes communautés linguistiques confondues) considère sa maîtrise de l’orthographe moins bonne, et a obtenu 50 %. Il a donc vu juste. Dans les deux cas, il est possible de remarquer une corrélation significative entre la perception qu’a le participant de sa maîtrise de l’orthographe et sa réelle maîtrise de l’orthographe.

 

            Quatrièmement, la phonologie de la variété du français à laquelle appartiennent les participants est mise en relation avec le taux de bonnes réponses du groupe. Toutefois, on ne peut négliger l’apport de la fréquence lexicale subjective du mot, puisque les répondants auront moins tendance à convertir la phonie en graphie s’ils sont familiers avec le mot et qu’ils l’écrivent souvent. Autrement dit, comme mentionné précédemment, une bonne orthographe d’un mot peut s’expliquer autant par la fréquence lexicale subjective que par la phonologie de la variété du français qui avantage le répondant pour l’orthographe. Abordons d’abord la voyelle basse, dont tous les mots sont regroupés dans le type 1. On remarque que le phonème /ɑ/ n’est pas toujours retranscrit à l’aide du signe diacritique <â>. Par exemple, le mot paille se prononce [pɑj] en français québécois, tout comme le mot vase, qui se prononce [vɑz]. Les sujets auraient pu ajouter un signe diacritique, dans le but de respecter la phonologie. Pour les sujets wolkrangeois, la plupart d’entre eux ne tiennent compte que du phonème /a/ présente dans leur système vocalique, ce qui fait qu’ils prononcent ces mots [paj] et [vaz]. Cela pourrait justifier l’absence d’un signe diacritique. De plus, un mot retranscrit avec le graphème <â>, donc à l’aide d’un signe diacritique, n’est pas toujours associé au phonème /ɑ/. Les mots câlin et gâchette se prononcent [kalɛ̃] et [gaʃɛt] pour les deux variétés du français étudiées dans cette recherche. Comme la norme exige parfois le signe diacritique, on peut dire que les deux groupes sont également désavantagés dans ces cas, puisqu’on ne prononce pas les mots comme ils s’écrivent.

En ce qui se rapporte aux mots cibles analysés dans le cadre de notre enquête, on retrouve le mot bâille, qui a été correctement orthographié par 63 % des participants sherbrookois, mais par seulement 25 % des participants wolkrangeois. Notons que la médiane de la cote de fréquence est de 6 pour les deux groupes, ce qui signifie que le mot est considéré comme fréquent pour la majorité des participants. Ensuite, la prononciation n’est pas la même d’un groupe à l’autre. Du côté des participants sherbrookois, ils prononcent ce mot [bɑj], avec la voyelle postérieure, alors que les participants wolkrangeois prononcent [baj], avec la voyelle antérieure. Pour ces derniers, il pourrait être moins évident de penser au signe diacritique. De plus, 70 % des répondants wolkrangeois ont choisi l’orthographe baille, contre 34 % pour les répondants sherbrookois qui ont opté pour cette graphie. On pourrait donc penser que, pour ce cas, l’orthographe est soutenue par la phonologie.

Un autre mot fort intéressant est le verbe râpes. La fréquence lexicale de ce mot est la même pour les deux variétés : les participants considèrent majoritairement ce mot comme fréquent. Du côté de la prononciation, les locuteurs sherbrookois emploient la voyelle basse postérieure /ɑ/, alors que les participants wolkrangeois emploient plutôt la voyelle basse antérieure /a/. Les choix de réponse en témoignent : 60 % des répondants wolkrangeois ont opté pour la graphie rappes, alors que seulement 17 % des participants sherbrookois ont fait de même. Une fois de plus, la phonologie semble expliquer l’écart des résultats des deux groupes, soit de 45 % (80 % contre 35 %).

Le mot gâchette, quant à lui, n’a bien été orthographié par aucun participant wolkrangeois. Les participants sherbrookois sont toutefois près de la moitié à l’avoir bien orthographié. Ce mot est majoritairement considéré comme non fréquent par les deux groupes. Comme il se prononce /gaʃɛt/, et non pas à l’aide du /ɑ/ postérieur en français québécois, il n’est pas surprenant que les participants omettent en très forte majorité le signe diacritique. Il est difficile toutefois d’expliquer pourquoi 41 % des répondants sherbrookois ont tout de même pensé à inclure le signe diacritique. Nous émettons l’hypothèse qu’ils ont fait l’association avec le mot gâcher, qui lui, se prononce avec le /a/ postérieur. Ce dernier est sans doute considéré comme fréquent en français québécois.

Enfin, les mots taille et scène sont plutôt particuliers, car, pour deux rares fois, les répondants sherbrookois sont désavantagés par la phonologie. D’abord, pour le premier mot, ces sujets le prononcent avec une voyelle postérieure, bien que le signe diacritique ne soit pas requis. Du côté des participants wolkrangeois, la phonologie est neutralisée, comme c’est le cas pour tous les mots de ce type. Ainsi, ils prononcent le mot comme il s’écrit. Les résultats montrent que les répondants sherbrookois ont obtenu 90 % contre 100% pour les répondants wolkrangeois. La cote de fréquence lexicale est à son maximum pour les deux groupes, soit de 7. Cela signifie que c’est un mot considéré comme très fréquent, mais les sujets sherbrookois n’ont pas tous réussi à bien l’orthographier. Parmi les choix de réponses, la graphie tâille a été choisie par 10 % des répondants sherbrookois, ce qui n’est pas curieux, si on le compare à bâille, par exemple. Concernant le deuxième mot, les sujets sherbrookois distinguent, à l’aide de l’allongement vocalique, les deux mots de la paire minimale [sɛ: n] pour scène et [sɛn] pour saine. Étant donné que le graphème <è> est associé au phonème /ɛ/, les sujets sherbrookois pourraient être tentés d’écrire ce mot avec un accent circonflexe, comme le suggèrent les résultats : 20 % de ceux-ci ont choisi le graphème *scêne (qu’ils ont peut-être associé au mot même), alors qu’il n’y en a aucun du côté des répondants wolkrangeois. Cela explique peut-être pourquoi 78 % des répondants sherbrookois ont bien orthographié le mot, contre 90 % du côté des répondants wolkrangeois. Le mot est considéré comme fréquent pour les deux groupes, d’autant plus que la médiane est plus élevée pour les répondants sherbrookois.

En ce qui trait à la voyelle moyenne, c’est-à-dire les mots regroupés dans le type 2, il s’agit de la voyelle moyenne où le phonème /o/ s’oppose à /ɔ/. L’association est plutôt simple pour les répondants sherbrookois : le signe diacritique se traduit toujours par un /o/ postérieur. Là où cela peut poser un problème, c’est dans un cas opposé, c’est-à-dire lorsqu’il y a d’autres graphèmes qui s’associent à ce même phonème. Par exemple, selon Catach (1980 : 95), les graphèmes <o> comme dans rose, <au> comme dans fraude et <eau> comme dans sceau, sont également associés au phonème /o/. Il est donc difficile d’acquérir toute régularité, puisque cela peut sembler aléatoire. Dans d’autres contextes, par exemple, le phonème /ɔ/ se transcrit également avec le graphème <o>, comme dans pomme, ce qui montre le manque de biunivocité. La difficulté pour les répondants est donc d’entendre le phonème /o/ et de choisir entre la graphie avec le signe diacritique <ô> et celle qui ne l’a pas, soit <o>. À ce niveau, on peut dire que les répondants sherbrookois ont eu un peu plus de facilité, bien que ce ne soit pas très marquant. Le mot côte est un bon exemple, car ils l’ont bien orthographié à 93 % contre 75 % pour les répondants wolkrangeois. Dans les deux variétés, ce mot est majoritairement considéré comme fréquent. Il y a des mots, comme saute, pôle et hôte, qui sont très bien réussis (entre 80 et 100 %) et dont l’écart est très mince. Pour les deux groupes, les deux premiers mots sont considérés comme fréquents et le dernier ne l’est pas. Pourtant, ce dernier (hôte) est réussi à 80 % et à 85 %. Enfin, le mot le moins bien réussi chez les deux groupes, vôtre, est pourtant considéré comme fréquent par tous les répondants. Du côté des répondants sherbrookois, ils l’ont bien orthographié à 34 % et à 20 % du côté des répondants wolkrangeois. Parmi les choix de réponse, *vautre a été sélectionné par deux sujets sherbrookois, mais aucun participant wolkrangeois. Comme l’écart n’est que de 14 %, ce n’est pas suffisant pour conclure quoi que ce soit. Ce cas particulier demande à être prudent : les connaissances syntaxiques pourraient être impliquées. Les sujets pourraient avoir confondu le pronom vôtre avec le déterminant votre et ne pas tenir compte de la différente prononciation peu marquée.

L’analyse des autres types de voyelle, c’est-à-dire les types 3, 4 et 5, n’a pas amené de résultats concluants pour qu’elle soit reproduite dans cet article.

Somme toute, la corrélation entre l’emploi du signe diacritique et la voyelle postérieure issue du système vocalique du français québécois est tout à fait pertinente. Pour les rares fois où les participants sherbrookois sont désavantagés ou sans indice phonologique majeur pour bien orthographier le mot, nous remarquons une différence de performance, puisque les répondants wolkrangeois ont mieux orthographié les mots taille et scène.

 

5.      Conclusion

            Pour conclure, nous avons tenté d’expliquer les écarts de performance en orthographe entre les francophones belges (Wolkrangeois) et québécois (Sherbrooke). En outre, comme la fréquence lexicale subjective et l’autoévaluation sont des facteurs impactant significativement, mais sensiblement équitablement, tous les répondants, nous concluons que la phonologie explique en grande partie l’écart de performance. En effet, la plus grande disparité se situe au niveau des mots du type 1 (voyelles basses), pour lequel il existe le phénomène de neutralisation des voyelles. Nos résultats confirment les résultats des études s’intéressant à l’orthographe anglaise : la prononciation a un impact sur l’orthographe. Moins il y a de voyelles disponibles dans le système vocalique des locuteurs, plus il y aura d’homophones. Cela leur suscite plus de difficultés à distinguer les mots sémantiquement, ce qui explique le nombre d’erreurs. Nous sommes d’avis que ce projet connaît plusieurs limites, comme le faible échantillon et la grande quantité de facteurs entourant l’orthographe. Ce sujet devrait être davantage étudié pour valider ces résultats. Ces études devront par ailleurs inclure la technologie, qui a un impact important sur l’usage de l’écriture. Souvent dotés d’un appareil électronique, les locuteurs ne consultent plus de dictionnaires et échangent entre eux plus rapidement et plus souvent grâce aux messageries instantanées.

6.      Bibliographie

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[1] ORCID : 0009-0007-5220-2463

[2] Bien que la majorité des vocables ne puisse être orthographiée que d’une seule manière selon la norme, il existe des contre-exemples (comme tzar/tsar, paie/paye, clef/clé et cuiller/cuillère). De ces doublets orthographiques, certaines graphies semblent se maintenir dans le temps, alors que d’autres tendent à disparaitre de l’usage.

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